Mai 2025 sera marqué par la célébration du 80e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis et la capitulation du IIIe Reich, sans condition. Une page d’histoire était tournée. Une page noire, écrite avec le sang de nos parents, qui sera suivie d’une autre symbolisant une période de paix, de stabilité et de prospérité sans précédent en Europe. La France en Allemagne était représentée à Ravensbrück et Sachsenhausen, comme à Berlin, par son ambassadeur, S.Exc. M. François Delattre.
par Joël-François Dumont — Berlin, le 10 mai 2025 —
Sommaire
De 1945 à 1994, les ambassadeurs de France, de Grande-Bretagne et des États-Unis, en poste à Bonn, étaient les chefs militaires des zones d’occupation occidentales en Allemagne fédérale et à Berlin-Ouest et des forces militaires qui y étaient en garnison. Ces « forces alliées d’occupation » se voulaient garantes de la sécurité de la République fédérale et de Berlin-Ouest, avant de voir leur statut modifié en « forces stationnées ». Un signe que l’ennemi d’hier était devenu l’allié de demain. A Berlin-Est, siégeait l’ambassadeur soviétique, dans la partie orientale de la ville autoproclamée capitale d’un État qui n’était pas reconnu, la RDA. L’allié soviétique d’hier était devenu une menace pour nos démocraties.
Ce que l’on sait moins, c’est que les généraux français, britannique et américain à Berlin-Ouest étaient des diplomates, assistés d’un ministre plénipotentiaire. Les troupes, étant commandées par un colonel.
La libération des camps de concentration
Le 80e anniversaire de la libération par l’armée rouge des camps de concentration emblématiques de Ravensbrück, un camp de déportées pour les femmes de 40 pays, et de Sachsenhausen, a été célébré en présence d’une dizaine de rescapés de l’enfer nazi. Le plus grand nombre de déportées à Ravensbrück venait de pays d’Europe de l’Est, catalogués pays de sous-hommes slaves.

— Photo © Joël-François Dumont —

— Mémorial de Ravensbrück —
Ravensbrück ou l’enfer des femmes
A Ravensbrück, 123.000 femmes ont été déportées provenant de 40 pays de mai 1939 à mai 1945… 30% étaient originaires de Pologne, 20% d’Allemagne et d’Autriche, 15% étaient, en majorité hongroise, 15% étaient françaises. Soit 6.000 femmes ! 28.000 sont mortes dans des conditions atroces.

Il y avait aussi beaucoup d’Allemandes et quelques autrichiennes à Ravensbrück. Évoquant le souvenir de Margot Friedländer, survivante de la Shoah, âgée de 103 ans, qui passera sa vie à témoigner de cet enfer, l’ambassadeur Delattre s’est rappelé ses mots : „So hat es damals auch angefangen“ (« C’est ainsi que tout a commencé à l’époque »). Elle est décédée hier. Par la pensée, nul doute que Margot était à Ravensbrück. Et François Delattre d’ajouter : « Il nous faut avoir le courage d’écouter les témoins, et celles et ceux qui savent ce que vivre dans une société de non-droit et de terreur veut dire.
Ainsi, les mémoires de la Shoah, de la déportation et de la fin de la Seconde Guerre mondiale éclairent aujourd’hui l’état du monde et nous font comprendre que ce nous pensons certains et garantis – la paix, la démocratie, l’État de droit – sont en réalité des acquis fragiles et effaçables, qu’il s’agit de défendre sans hésitation. Il s’agit là d’un enjeu existentiel.
80 ans après les faits, la mémoire demeure le ciment de notre entente européenne. C’est parce que nos pays ont été capables de regarder leur passé en face, d’assumer les crimes inexprimables commis entre 1933 et 1945, mais aussi de reconnaître ce qui les unit, au-delà des divisions passées, qu’ils ont été à même de reconstruire, sur les ruines de désolation de la Seconde Guerre mondiale, un monde en rupture avec les violences et les conflits de masse ».
« Lieux de mémoire au double passé »
Si le camp de Ravensbrück fut transformé en caserne, ceux de Sachsenhausen et Buchenwald devinrent des camps spéciaux, mis en place dès mai 1945, dans la SBZ (zone d’occupation soviétique en Allemagne orientale). Officiellement pour nettoyer l’arrière de l’Armée rouge des éléments ennemis, en fait, pour y déporter, sans jugement, tout opposant considéré comme ennemi potentiel. Dans ces Spezlag, les prisonniers étaient des esclaves coupés du monde. Dans ces camps du silence, plus de 1.100.000 personnes sont mortes et enterrées dans des fosses communes ou incinérées, avant que l’URSS ne transfère ces camps à la RDA. Certains, comme le camp de concentration de Bautzen, constitueront, jusqu’à la chute du mûr, l’annexe carcérale de la STASI („Stasi-Knast“).[1]
Le 8 mai célébré par les Alliés d’hier dans l’ancien QG des FFB avec un grand absent
La célébration du 8 mai avait, cette année à Berlin, une résonnance particulière. Les Alliés d’hier célébraient le 80e anniversaire de la capitulation sans conditions du IIIe Reich, sans les Russes, exclus par les Européens de toute manifestation officielle publique depuis l’invasion de l’Ukraine.



La seule commémoration officielle qui marquera cette journée mémorable le sera dans la Julius-Leber Kaserne, l’ancienne caserne Hermann Goering, là où fut créé en 1937 la Fallschirm-Panzer-Division 1. « Hermann Göring » qui, en 1943, sera transformée pour moitié en hôpital militaire, avant de devenir pendant un demi siècle, de 1947 à 1994, le quartier général des Forces Françaises de Berlin. En 1994, le quartier est renommé « Julius Leber Kaserne », du nom de Julius Leber, un des premiers hommes politiques allemands, opposant à Hitler, à être déporté à Sachsenhausen de 1933 à 1937 et qui sera pendu le 5 janvier 1945 à Plötzensee pour avoir participé à l’attentat contre Hitler avec son ami le Colonel, Comte Claus von Stauffenberg. Julius Leber est né à Biesheim en Alsace, village en cours de jumelage avec la caserne « JLK »…
Le Quartier Napoléon, haut lieu français à Berlin
Le « Quartier Napoléon » demeure pour les Français qui ont connu la division entre Berlin-Est et Berlin-Ouest un des hauts lieux français de Berlin, siège de la garnison forte de moins de 3.000 hommes. Avec deux régiments prestigieux, le 46e Régiment d’Infanterie et le 11e Chasseur, qui ont accompagné notre histoire militaire.

Des forces qui se sont rapidement transformées pour devenir garantes de la défense de la liberté des Berlinois. En 1948, Staline voulant faire main basse sur Berlin-Ouest a décidé le blocus de la ville pour affamer ses citoyens. Les Occidentaux, sous l’impulsion des Britanniques, réaliseront le plus grand pont aérien de l’histoire. Américains, Britanniques et Français, les ennemis d’hier, allaient devenir durablement les Alliés de demain.

La réconciliation franco-allemande, issue de la volonté du général de Gaulle en France et en Allemagne fédérale du chancelier œuvre de Konrad Adenauer. C’est dans cet esprit qu’une génération de diplomates français ont été spécialisés sur l’Allemagne prenant modèle sur M. Basdevant, comme le jeune diplomate, François Delattre qui sera un jour Secrétaire général du Quai d’Orsay avant d’être nommé à Berlin.

Ce 8 mai, on a célébré la capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie. D’abord signée à Reims le 7 mai à 2h30 du matin au QG du général Einsenhower par le général Alfred Jodl en présence des chefs d’état-major américain, britannique et soviétique et du général français François Sevez, chef d’état-major du général de Gaulle signant en qualité de témoin…

— Photo © Bundesarchiv —

— Photo © Bundesarchiv —
Le lendemain, sur injonction de Staline qui entendait démontrer que c’était lui qui avait gagné la 2e Guerre Mondiale, un nouvel acte de capitulation a été signée au QG soviétique de Karlshorst, par le maréchal Wilhelm Keitel. Cette fois, c’est le général Jean de Lattre de Tassigny qui signera pour la France.

L’armée rouge lancera sa dernière offensive terrestre sur la capitale du Reich le 16 avril. Encerclée par deux groupes d’armées soviétiques : ceux de Joukov (1er front biélorusse) et de Koniev (1er front ukrainien) avec en appui celui de Rokossovki (2e front biélorusse). Les Soviétiques massent autour de Berlin plus de 40 000 pièces d’artillerie (1 tous les 10 mètres). Les combats font rage dans le quartier des ministères, autour du Reichstag et du bunker du Führer défendu par des volontaires SS étrangers : scandinaves, néerlandais : la 11e SS-Division Nordland, à laquelle a été rattaché le bataillon Charlemagne, regroupant 363 Français sous les ordres du SS-Hauptsturmführer (capitaine) Henri Fenet, des éléments espagnols et encore 4 Britanniques du SS British Free Corps.[
60.000 volontaires vont résister, la moitié sera massacrée par l’artillerie soviétique Les forces du Reich dse composent principalement de deux groupes d’armées (Heeresgruppen), de la garnison de Berlin et de dizaines de milliers d’hommes en renfort redirigés sur Berlin, parmi lesquels 25.000 Waffen SS.
Hitler, comprenant que la partie est perdue maudira ses généraux et ses proches qui ont préféré prendre contact avec les Alliés. Il mettra fin à ses jours le 30 avril, deux jours avant l’issue de très violents combats.


Le 2 mai, Berlin tombera. La capitale du Reich, une des plus grandes et belles villes d’Europe, est devenue en l’espace de quelques semaines un amas de ruines de désolation pour reprendre l’expression de François Delattre, et un immense cimetière : 70% de la ville sert de sépulture à une population laminée par l’artillerie soviétique. Les immeubles épargnés sont rares. Les habitants arborent des linges blancs en signe de reddition.
Pendant deux mois, Berlin sera coupée du monde par les Soviétiques. Deux mois avant l’arrivée des premiers détachements améri-cains, britanniques et français dans Berlin dévastée.
Photo Arkadij Schaikhet (Archives privées de Marija Shotikova)
Deux longs mois pendant lesquels la population va subir toutes sortes d’exactions. Des dizaines de milliers de viols, des exécutions sommaires, une violence aveugle parfois, sans oublier qu’une partie de la population ayant des métiers recherchés sera envoyée en Russie aux travaux forcés, de même que des usines seront démontées et transférées en URSS.
Le partage de Berlin va inaugurer une nouvelle page d’histoire dans une Europe séparée en deux par un immense rideau de fer. Soviétiques à l’Est, Américains, Britanniques et Français à l’Ouest. Les Alliés d’hier s’installaient dans un face à face qui durera près de 50 ans jusqu’à la chute du mur.
En 1989, l’URSS, en faillite, se résoudra à la réunification de l’Allemagne et à lever le rideau de fer. Dans tous les peuples d’Europe orientale et centrale, dans les Pays Baltes, pour tous ceux qui ne faisaient pas parti de l’élite comme les membres du parti communiste, ce fut un immense espoir.

Adhérer à l’OTAN, devenir membre de l’Union européenne, faire de nouveau partie de la grande famille européenne, après avoir été pendant tant d’années victimes d’une dictature calquée sur le modèle soviétique, pouvoir voyager, parler librement, ne pas dépendre de télévisions et de journaux où, au nom de la vérité proclamée, tout ou presque n’était que mensonge, Tel était le rêve que le parapluie mythique américain avait laisser augurer jusqu’au retour d’un certain Donald Trump à la Maison-Blanche suivi d’un retournement d’alliances, longtemps suggéré par le général de Gaulle, auquel il faudra bien se résoudre, même si, dans le fond, personne ne peut ou ne veut encore y croire.
Joël-François Dumont
Voir également : « 1945-2025: Berlin erinnert sich » — (2025-0510) —
[1] Cf. « La libération de Ravensbrück et de Sachsenhausen » — (2025-0505) —
Sur le 80e anniversaire de la libération des camps de concentration et la capitulation de l’Allemagne nazie :
- « Le système concentrationnaire nazi » — (2025-0117) —
- « La libération de Ravensbrück et de Sachsenhausen » — (2025-0505) —
- « Die Befreiung von Ravensbrück und Sachsenhausen » — (2025-0505)
- « Les 10 camps spéciaux soviétiques en Allemagne de l’Est » — (2025-0506) —
- « Regard numérique sur le passé et vision d’avenir » — (2025-0507) —
- « Digitaler Blick in die Vergangenheit und Vision für die Zukunft » — (2025-0507) —
- « 1945-2025 : Berlin se souvient » — (2025-0510) —
- « 1945-2025: Berlin erinnert sich » — (2025-0510) —