Le Beaujolais nouveau est arrivé ♪♪♪

« Les Français qui parlent aux Français du bout du monde » ne boivent pas que de l’eau ferrugineuse, c’est bien connu. Dans leur culture, dans leur âme, les merveilleux produits du terroir gaulois restent toujours bien présents. Ils les connaissent, mieux encore, ils les font connaître autour d’eux dans leur pays d’accueil où ils réalisent leur promotion et favorisent leur exportation.

Berlin, le 22 novembre 2021.

C’est dans cet esprit, fidèle à une tradition qui remonte à plus de 50 ans, que l’UFE-Berlin a célébré dignement au Mess Sergent Brocard dans notre ancien quartier, haut lieu français pendant plus d’un demi-siècle, ce rendez-vous 2021.

Le succès de cette soirée était au rendez-vous. Les membres de l’UFE n’ont regretté qu’une seule chose, que les mesures sanitaires aient limité le nombre de participants.

Xavier Doucet, président de l’UFE-Berlin, a accueilli le 18 novembre ses ouailles mobilisées pour la circonstance avec leurs invités parmi lesquels d’autres expatriés francophones : Belges, Québécois, Marocains, Libanais, pour ne citer qu’eux, toujours présents lors de ces rencontres auquel s’est joint Luis, un jeune Hondurien le 14 juillet dernier… Et bien sûr parmi lesquels de nombreux Allemands qui, année après année, honorent le Beaujolais nouveau en le comparant avec des « connaisseurs ».

La présentation du nouveau crû a été magistralement faite par Anne Zadikian, membre de la Confrérie, venue de Hanovre en voisine dans un magnifique costume. Une femme qui maîtrise parfaitement l’allemand et qui a réponse à toute question sur l’arôme, le cépage ou les qualités des douze vins qui sont la fierté du vignoble. Et qui chante

Fanchon en transformant en chœur les membres de l’UFE-Berlin… In vino veritas et cantus !

Anne Zadikian - Photo © Aurélien Beauthéac
Anne Zadikian – Photo © Aurélien Beauthéac

Alors comment le crû de ce Primeur 2021 a-t-il été jugé par les intéressés ? (That is also the question)

Les avis « autorisés » pour ne pas dire « les palais les plus exercés » du bureau de l’UFE-Berlin, ont trouvé que « la cuvée 2021 ressemblait beaucoup aux cuvées des années 1980-1990 :  le vin est plus frais, plus léger, plus fruité, plus gouleyant, avec une teneur en alcool ne dépassant pas les 12 degrés. Avec des arômes de framboise ou de fraise qui caractérisent le cru », un vin, qui plus est, doté d’une belle robe rouge vif, aux saveurs fruitées, de quoi accompagner à merveille nombre de spécialités de la gastronomie française… Autant de qualités recherchées par les Allemands et les Polonais qui préfèrent les vins qui ne sont pas trop riches en tanin.

Une belle surprise donc alors que l’année 2021 a été plus que difficile pour les viticulteurs français, en raison des conditions climatiques et du gel des vignes. « Les vins sont dans la modération », plus légers en alcool et en structure tannique que certains millésimes « chauds des dernières années », d’après Bertrand Chatelet, directeur de la SICAREX Beaujolais, l’Institut de recherche viticole et œnologique du Beaujolais (Actu.fr).

Le pays où le Beaujolais est roi : le pays du soleil levant où les vins riches et boisés ne sont pas recherchés !

Ce que l’on sait, c’est que les Japonais sont devenus au fil des ans les plus gros consommateurs de Beaujolais nouveau au monde. 8 millions de bouteilles acheminées par fret aérien chaque année pour le seul Beaujolais nouveau, soit un tiers de la production, ce qui est un véritable succès à l’exportation.

Dans un pays où plus de 30% des hommes ne supportent pas le vin, c’est même une « performance » que seul Descartes aurait pu expliquer. Après tout, « qu’importe l’issue du chemin quand seul compte le chemin parcouru ». Nous sommes bien d’accord avec cette maxime de notre contemporain David Le Breton.

Ce que l’on sait moins, et qui ne manque pas de sel, c’est que pour ce pays où les habitants ne boivent pratiquement pas de vin – puisqu’ils ont des intolérances coupables – une femme japonaise supervise en Normandie, rien que pour eux, des jus de pomme spéciaux qui ont un arrière-goût de vin… mais sans alcool. Reste quand même un honorable pourcentage de Japonais qui boivent du vin avec plus ou moins de modération. Et même qui sont de fins connaisseurs de nos plus grands crus.

L’Asian flush

Ce qu’il faut savoir, c’est que pour 30% des Japonais, après une bière, le rythme cardiaque peut doubler, les yeux sont injectés de sang et au bout d’une demi-heure, les maux de crane se font sentir… La faute à qui ? A cette Asian flush qui est la manifestation extérieure de cette particularité génétique. 30 à 40% des Asiatiques en buvant de l’alcool se mettent à rougir intensément…

Enfin, il y a ce qui n’est pas forcément évident. Pour faire simple, « deux enzymes entrent en jeu. La premièrel’ADH (l’alcool-déshydrogénase) transforme l’alcool en éthanal. La deuxième, l’ALDH2 (aldéhyde déshydrogénase 2) prend le relai et le change en acide acétique, qui ressemble au vinaigre et est beaucoup plus facile à éliminer pour le corps. C’est cette seconde enzyme qui ne fonctionne pas chez une partie des Asiatiques, comme le rappelle cette publication de l’Inserm. La faute à une mutation génétique qui l’a rendu inactif

« Pour comprendre d’où vient ce phénomène, il faut d’abord rappeler comment notre organisme élimine l’éthanol. Quand nous buvons, l’alcool arrive d’abord dans l’estomac, où une petite partie (au maximum 20%) est métabolisée. Le reste passe dans le sang et est transporté vers le foie, le cœur, le cerveau… Enfin, c’est le foie qui se charge en grande partie de s’en débarrasser. L’Asian flush est simplement la manifestation extérieure de cette particularité: leur organisme se sent menacé et les vaisseaux sanguins se dilatent. Incapable de s’en débarrasser, leur corps accumule un niveau d’éthanal jusqu’à six fois la normale.»[1]

Restent donc 60 à 70% de Japonais qui ne sont pas directement menacés par cette Asian flush. A leur intention, depuis maintenant plus de dix ans, un hôtel de Hakone au sud de Tokyo (préfecture de Kanagawa) remplit chaque année sa piscine de Beaujolais nouveau. On peut imaginer que quelques victimes de l’Asian flush s’y risquent quand même, le tout étant de ne pas se faire repérer. Avoir des rougeurs dans un bain rouge, après tout, cela choque moins.

Il y a aussi ceux qui ne peuvent pas profiter pleinement de ce spectacle plus ou moins biblique avec leurs yeux, ce sont les Daltoniens. Le plaisir des yeux, cela compte. Un homme sur 10 est daltonien, même au Japon, à cause d’une déficience appelée « achromatopsie ». Les impétrants daltoniens doivent donc aiguiser leur odorat ou risquer le tout pour le tout. Après tout, « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! » N’est-il pas ?

hakone thermes 22
Cette année, en raison des mesures sanitaires, les Thermes de Hakone s’y sont misPhoto French.china.org.cn

Nos amis nippons – qui réservent à l’avance pour la modique somme de 24 euros – viennent donc se prélasser dans ce spa d’avant-garde avec une volupté insoupçonnée, tout en consommant avec « une modération » toute japonaise, avant de dormir sur place. On n’est jamais trop prudent… A ce jeu, les novices deviennent rapidement des habitués.

Le lendemain pour continuer de se purifier, nombre de Tokyoïtes vont se relaxer en profitant cette fois des sources chaudes d’Hakone, haut lieu touristique à un peu plus d’une heure de Tokyo. Fraiche en été, flamboyante à l’automne lorsque ses érables virent au rouge, Hakone est un endroit magique. Le lac Ashi offre une des plus belles perspectives d’Hakone : le mont Fuji se reflétant dans ses eaux limpides. Après cela, il ne reste plus qu’à déguster des œufs noirs cuits à l’eau chargée de soufre avant de repartir pour Tokyo et retrouver la modernité du 21e siècle.

Dans la « famille Beaujolais », il n’y a pas que le Primeur ou le Beaujolais-villages, il y a aussi des pépites comme le Brouilly et le Côte de Brouilly, le Chénas, le Chiroubles, le Fleurie, le Juliénas, le Morgon, le Moulin à vent, le Régnié ou encore le Saint-Amour. La plupart de ces vins sont connus et très appréciés des Allemands et on ne les fera pas changer d‘avis.

Gabriel Lefay 2

En Pologne voisine, à Gdansk et à Varsovie l’UFE a également fêté l’événement. Un jeune compatriote d’origine toulousaine, Gaël Lefay s’est expatrié à Gdansk où il est devenu importateur de vins et de produits du terroir français.

Gaël qui travaille pour une grande enseigne française connaît bien le marché, les goûts des Polonais qui ont retrouvé en 2009 le droit d’acheter dans leur pays du vin issu de raisins polonais…

Gaël Lefay – Photo ©

En l’espace de quelques années, les vignerons polonais se sont lancés avec enthousiasme dans la production avec des résultats déjà appréciables dans les vins blancs. Il faut dire aussi qu’il faut des années pour qu’un terrain offre le meilleur de lui-même et que les températures hivernales froides les ont conduits à créer des cépages hybrides pour mieux résister aux sévères conditions météo. Et les Français les ont conseillés utilement.

Parmi les souches hybrides les plus populaires cultivées en Pologne, citons, entre autres, « le Solaris, le Regent, le Rond-point, le Johanniter, l’Hibernal, le Seyval blanc, le Vidal, le Leon Millot, le Cabernet Cortis, le Chaunac et… le maréchal Foch. »

Les Polonais comme les Allemands aiment les produits français et ces moments de convivialité les rassemblent régulièrement. Alors il ne reste plus qu’à se donner rendez-vous l’année prochaine et en attendant de vérifier – pour être sûr de ne pas nous tromper – que ces vins sont toujours dignes de leur excellente réputation.

Après le rugby, le Beaujolais nouveau : pas moyen décidément de prendre en défaut mon compère palois Jean-Michel Poulot ! Dans le domaine viti-vinicole, là encore, ses connaissances sont solides… A la MAAF, on dirait « je l’aurai un jour » !

Joël-François Dumont

[1] Sources : Slate et l’INSERM