Plus qu’un artiste, Max Liebermann est devenu un véritable symbole de la culture allemande. Peintre, aquafortiste, lithographe, mais aussi artiste graphique, graveur ou encore dessinateur, il se destinera à la peinture historique [1] souvent associée à l’art académique, avant de découvrir à Barbizon la peinture impressionniste et de s’imposer comme l’un des plus grands.
Né le 23 juillet 1847 à Berlin, il poursuit des études classiques avant de suivre une formation de chimiste à l’Université Humboldt. A l’âge de 10 ans, avec ses parents, de riches industriels juifs, il s’installe dans le palais Liebermann, un splendide hôtel particulier sur la Pariser Platz qui jouxte l’ambassade de France. C’est là qu’il mourra le 8 février 1935.
Après une formation à Weimar, et plusieurs séjours à Paris et aux Pays-Bas, il peint tout d’abord des œuvres naturalistes à thème social. L’étude des impressionnistes français lui permettra de trouver, à partir de 1880, « la palette claire et le coup de pinceau vigoureux qui caractérisent ses principales toiles.»[2] Son œuvre représente symboliquement la transition entre l’art du XIXe siècle, l’art moderne classique de l’époque wilhelminienne, et celui de la République de Weimar. C’est cette mutation qu’il a encouragée en tant que président de la Sécession berlinoise.[2]
Lors de la guerre franco-allemande de 1870, sa santé ne lui permettant pas de servir dans l’armée, Liebermann s’enrôle dans le service de santé près de Metz. Sans éprouver d’enthousiasme pour la chose militaire. il participe à cette guerre prussienne comme 12.000 juifs allemands avant de rejoindre Düsseldorf en 1871 où l’influence de la peinture française était plus forte que dans sa Prusse natale.
En 1873, il effectue un premier séjour aux Pays-Bas, à Scheveningen et à Amsterdam « où la lumière, les personnes et le paysage l’enchantent »[2] Il se laissera inspirer par les toiles des grands maîtres exposées au Mauritshuis avant d’installer son atelier quelques mois plus tard à Montmartre.
En 1874, il expose au salon de Paris ses Plumeuses d’oies (Gänserupferinnen). L’œuvre est certes remarquée, mais le succès n’est pas au rendez-vous. L’occupation par l’Allemagne de l’Alsace et de la Lorraine est très mal vécue par les Français, ce qui lui vaut des critiques qui ne lui sont pas favorables.
En été il découvre Barbizon et son école d’impressionniste qui vont le marquer durablement. « Munkácsy me fascinait énormément, mais plus encore Troyon, Daubigny, Corot et surtout Millet… »[3]
En 1875, Liebermann retourne trois mois en Hollande-Septentrionale. A Haarlem, il copie de nombreux tableaux de Frans Hals. « L’étude de la peinture de portrait de Hals lui ouvre des perspectives pour son propre style. La méthode de Frans Hals pour appliquer les couleurs, qui est à la fois vigoureuse et imprécise, se retrouve dans la période tardive de Liebermann, tout comme une influence des impressionnistes français…»[2] A l’automne 1875, Liebermann retrouve son atelier parisien.
Alors qu’aux Pays-Bas on est sous le charme du talent de Liebermann, en France, parce que peintre allemand, sa notoriété est très faible. Après avoir subi une dépression, il se résout à quitter définitivement Paris. Il retourne aux Pays-Bas, puis à Venise. Il lui faudra attendre le salon de Paris en 1882 pour que les critiques rendent enfin hommage à son immense talent. On dit de lui Paris qu’il « a le don de capter la lumière dans un espace fermé. »[4]
En 1884, Max Liebermann retrouve Berlin où il se fiance et se marie. A la mort de son père, il hérite du palais Liebermann et s’achète en 1889 une propriété à Wannsee en bordure du lac qu’il nommera « la villa Liebermann » où il se partagera : l’été à Wannsee, l’hiver à Berlin.
Après la guerre, en 1920, il devient président de l’Académie prussienne des arts. Alors que les « sécessionnistes » disparaissent sans bruit, Liebermann va regrouper les différents courants sous l’égide de l’Académie en y intégrant aussi l’expressionnisme. En 1927, à 80 ans, Liebermann est au fait de sa gloire.
Cinq ans plus tard, Liebermann tombe gravement malade. Après la chute de l’Allemagne de Weimar, le pays traverse une crise profonde. En janvier 1933, les nazis prennent le pouvoir. Le lendemain, des nazis en uniforme défilent au flambeau devant sa maison sur la Pariser Platz.
En mai 1933, le lendemain de l’autodafé de livres, Max Liebermann quitte toutes ses fonctions officielles. Après son décès, chez lui, il est enterré au cimetière juif de la Schönhauser Allee. La Gestapo avait interdit à l’avance la participation à ses obsèques afin qu’elles « ne donnent pas lieu à une manifestation pour la liberté artistique ». Bravant l’interdiction, une centaine de ses amis et des proches seront présents. L’Académie des Beaux-Arts de Berlin l’ignorera. Sa tombe est aujourd’hui entretenue par la fondation Axel Springer.
Si la maison de la Pariser Platz n’est plus, la villa Liebermann à Wannsee, classée monument historique, est devenue un musée où des milliers de visiteurs se rendent, chaque année. Le décor est magnifique, le jardin avec des fleurs devant le lac est un lieu de rêve qui avait fait le bonheur de la famille Liebermann.
Nous célébrons cette année le 150e anniversaire de l’impressionnisme. Comme l’a rappelé Xavier Doucet, président de l’UFE-Berlin lors du traditionnel dîner de l’amitié franco-allemande, le 11 juillet dernier, « de nombreuses manifestations et expositions sont organisées en France et en Allemagne. A Paris, au musée d’Orsay, bien sûr, haut lieu de l’impressionnisme, à Berlin à l’Alte Nationalgalerie, au Kupferstichkabinett (cabinet des estampes) ou encore au musée Barberini à Potsdam.»
L’UFE Berlin pour la circonstance avait convié la directrice du musée Liebermann, Madame Kohl qui, dans un français impeccable, nous a dit ce qui attendait ceux qui viendraient ce dimanche 14 juillet. Une visite guidée exceptionnelle… en français.
Joël-François Dumont
[1] Sans prétendre participer à un enseignement moral ou civique, la peinture d’histoire ou « peinture historique » représente les sujets historiques, religieux, voire mythologiques. Une façon d’interpréter les scènes de la vie courante en exprimant un message intellectuel ou moral.
[2] Source Wikipedia.
[3] Liebermann 1889, cité d’après Küster, p. 35
[4] Liebermann 1889, cité d’après Küster, p. 80