Entretien avec M. Christophe André Frassa, sénateur des Français de l’étranger
Joël-François Dumont : Monsieur le sénateur Frassa, le 10 février 2020, au moment où le gouvernement français aurait pu comprendre qu’une grave pandémie menaçait le monde entier, vous avez soutenu la proposition de Loi déposée par votre collègue, comme vous élu sénateur des Français de l’étranger, Ronan Le Gleut.[1]
Cette proposition de loi visait à instituer un mécanisme d’urgence destiné aux Français établis à l’étranger, particulièrement pour les plus démunis d’entre eux, confrontés qu’ils soient confrontés à des catastrophes naturelles, des évènements politiques majeurs ou à des menaces sanitaires graves.
En l’occurrence, cette menace sanitaire était réelle – quoi qu’ait pu nous en dire la ministre de la Santé de l’époque dont on ne parle plus aujourd’hui, Madame Agnès Buzyn.
Ce texte prévoyait la création d’un fonds d’aide d’urgence. Il a été voté par tous les sénateurs, sans exception, au Sénat. Il a été refusé à l’Assemblée Nationale, et même, c’est un comble, par les députés de la majorité présidentielle – des élus de Français de l’étranger – ont voté contre ce texte.[2] Comment l’expliquez-vous ? Faut-il comprendre que seul le Sénat s’intéresse à ces Français de l’étranger ?
Cette proposition de loi sénatoriale visait à instituer un mécanisme d’urgence destiné aux Français établis à l’étranger, aux Français, particulièrement les plus démunis d’entre eux, confrontés soit à des catastrophes naturelles, à des événements politiques majeurs ou à des menaces sanitaires graves, ce qui était le cas avec cette pandémie.
Christophe André Frassa : Je vais vous dire, il y a hélas, aujourd’hui, une sorte de dogmatisme à l’Assemblée qui fait que ce que fait le Sénat, même à l’unanimité des groupes, y compris le groupe la République en marche, n’est pas forcément du goût de la majorité présidentielle actuelle, et cela on le déplore tous. A croire que ce qui ne vient pas de l’Assemblée nationale n’est forcément pas bon…
Pour en revenir à la création de ce fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs, évidemment, c’est une avancée qui est importante pour les 3.400.000 Français dans le monde.[3]
Mon ami Roland le Gleut, lorsqu’on en a parlé ensemble m’a demandé d’être cosignataire de ce texte – je crois, si ma mémoire est bonne, que je suis même le premier cosignataire après lui de ce texte.
C’était évidemment une réponse à une demande ancienne de nos compatriotes à travers le monde d’avoir une structure souple, d’abord, une structure efficace et une structure qui soit mobilisable rapidement, parce que la réponse doit être rapide à des situations qui sont urgentes. Et pas, comme à chaque fois, créer 40 000 comités Théodule, se mettre à réfléchir, à organiser des réunions et cetera et avoir une réponse qui tarde à venir… Parce que, quand il y a urgence, il faut que la réponse soit efficace, rapide et surtout que la réponse, puisse aider nos compatriotes.
On l’a bien vu dans la crise du coronavirus. La réponse qui a été mise en place par les pouvoirs publics n’a pas été à la hauteur de l’urgence et des besoins de nos compatriotes avec des aides sociales qui étaient en fait les aides sociales habituelles, améliorées en termes budgétaires, mais avec la même complexité que l’on avait pour, j’allais dire, les aides sociales en temps normal, et ce n’est pas ce qu’attendaient nos compatriotes.
Donc ce qu’on a voulu avec cette loi c’est avoir un mécanisme – on n’a pas réinventé la roue – on n’a pas réinventé le système d’adduction d’eau, on a juste transposé des systèmes qui existent déjà et qui ont fait leurs preuves qui sont les systèmes d’aide à nos compatriotes quand il y a des catastrophes comme en Outre-mer, avec des réponses des services publics qui sont immédiates avec un mécanisme qui est immédiat pour les aider et c’est vraiment ce que nous avons voulu faire, c’est-à-dire, pas un système d’assurance, pas un système avec des fonds avec de l’argent qui est bloqué, mais au contraire un fonds où l’argent peut être débloqué, c’est-à-dire où on ne bloque pas des sommes sur le budget mais où les sommes peuvent être prises sur plusieurs budgets pour être mobilisées rapidement et cela a donné – il faut toujours rendre à César ce qui est à César – cette « architecture » que Ronan Le Gleut a voulu donner à ce fonds d’urgence pour nos compatriotes.
Voilà, rapidement, alors pour en revenir maintenant au fait qu’il soit bloqué à l’Assemblée. C’est, hélas, un petit jeu que je pourrais qualifier de minable parce que cette proposition de loi a été votée, comme vous l’avez souligné de manière unanime par tous les groupes politiques au Sénat, que le gouvernement, par la voix de Jean Baptiste Lemoyne, a dit à l’époque que c’était « un sujet intéressant », que c’était « une proposition de loi qui semblait » pourtant « évidente ». Mais évidemment, le petit jeu politicien a repris tout de suite le dessus et le gouvernement ne l’a pas reprise à son compte alors qu’il aurait très bien pu le faire et l’inscrire dans son ordre du jour, prioritaire, et que, finalement, le groupe majoritaire à l’Assemblée ne l’a pas repris parce qu’évidemment, comme cela ne venait pas de lui, l’idée n’était forcément pas bonne. Voilà, on est un peu dans un jeu politicien minable, sur fond, évidemment, de campagne électorale pour les élections des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger. Voilà où on en est. C’est bien dommage. C’est bien triste.
Joël-François Dumont : Comme vous le disiez, Monsieur le sénateur, il y a un instant, dans les avantages indéniables de ce texte du Sénat, il y avait en effet la possibilité nouvelle de disposer de ce que vous appelle dans le jargon parlementaire d’un « véhicule juridique et financier » permettant à chaque fois, en présence d’une crise d’ampleur, de mobiliser les aides d’urgence tout en assurant leur traçabilité, plutôt que de procéder au coup par coup comme cela a toujours été le cas. Ceci est donc très novateur.
Christophe André Frassa : Tout à fait, tout à fait. Je me souviens de ce qu’avait dit au Sénat Jean-Baptiste Lemoyne, c’est qu’il aurait « un regard bienveillant sur ce texte ».
Force est de constater qu’il n’y a pas eu de regard bienveillant sur ce texte, qu’on est toujours là à attendre qu’il soit inscrit alors qu’on a eu quand même des déclarations disant que c’était un dispositif lisible, sécurisé, souple, complémentaire et pérenne, doté de vrais moyens. C’est dire qu’on ne peut pas dire mieux d’un texte qui était solide, qui tenait la route et qui n’était pas farfelu dans son mécanisme. C’est là qu’on est vraiment assez déçu que le côté politicien s’empare d’un tel sujet alors que nos compatriotes à l’étranger ont de vraies attentes aujourd’hui sur un tel texte. C’est cela qui est vraiment dommage.
Joël-François Dumont : Il y a quelques épisodes qu’il convient de rappeler. On a quand même vécu des « premières ». Comment ne pas rappeler que le ministre de la santé, Olivier Véran, avait interdit le retour en France de citoyens français, domiciliés en dehors de l’Union européenne « sauf motifs impérieux » alors que des étrangers débarquaient sans contrôle à Roissy. Comment ne pas rappeler également l’interdiction écrite par courrier électronique individuel à tous les diplomates et fonctionnaires français travaillant dans l’Union européenne, de rentrer en France pour se faire vacciner, là encore, c’était du jamais vu…
Christophe André Frassa : Quand on voit comment la gestion de crise, de la crise sanitaire et même dans son volet économique vis-à-vis de nos compatriotes, c’est que tout, dans la communication, dans les actes de ce gouvernement, a systématiquement stigmatisé nos compatriotes comme des compatriotes de seconde zone.
Je ne parle pas trop pour nos compatriotes dans l’Union européenne, parce que malgré tout, la réglementation européenne et le droit européen les a protégés de ce qu’aurait pu ou voulu faire le gouvernement avec eux, mais de tous nos compatriotes qui vivent hors de l’Union européenne et de l’espace européen, c’est à dire sur 3 à 4 millions quatre cent mille Français dans le monde, c’est la moitié d’entre eux, ce qui n’est pas rien. Ceux-là ont vraiment eu le sentiment – un sentiment extrêmement légitime – qu’on les traitait comme des citoyens de seconde zone.
Cela a commencé par l’interdiction de revenir en France comme s’ils avaient été beaucoup plus pestiférés que les habitants de l’Union européenne où les Français eux-mêmes, alors que dans certains cas, ils vivaient dans des pays dont les restrictions et dont le confinement avaient été plus drastiques qu’en France. Donc ils l’ont très mal vécu.
Après, il y a eu les fameux « motifs impérieux » pour pouvoir se rendre en France et il a fallu en arriver jusqu’au Conseil d’État pour que celui-ci rappelle au gouvernement qu’un Français peut revenir dans son pays en tout temps et sans contrainte. [4] Donc, il aura fallu que ce soit la plus haute juridiction administrative qui rappelle au gouvernement ce préalable essentiel aux libertés fondamentales. Il en a été de même pour les couples binationaux, pas pour les couples binationaux qui souhaitaient se marier, qui étaient séparés depuis plus d’un an qu’ils pouvaient aussi se rejoindre, que le conjoint qui n’était pas encore marié – on parle de couple qui n’était pas encore officiel, qui souhaitait se marier et qui en a été empêché aussi par le gouvernement de se rejoindre pour, tout simplement, se marier et se retrouver. Il a fallu aussi que le conseil d’État tranche.
Et après il y a eu le début de la campagne de vaccination. Dans l’Union européenne, nous avons la chance de vivre dans des pays qui ont une politique sanitaire qui ont mis en place la vaccination pour tous les habitants du pays, quelle que soit leur nationalité. Il y a beaucoup de nos compatriotes à l’étranger qui vivent dans des pays qui n’ont pas de politique sanitaire ou qui ont pas les moyens d’en avoir une.
Je rappelle toujours qu’en 2009, le gouvernement de l’époque avait tout simplement mis en place une politique de vaccination pour l’ensemble de nos compatriotes en France, Outre-mer et à l’étranger.
L’actuel gouvernement n’a pas jugé utile de lancer la campagne de vaccination au-delà de la France et de l’Outre-mer et les Français de l’étranger ont été livrés à la campagne de vaccination du pays dans lequel ils résident. Et quand il n’y en avait pas, il a fallu attendre seulement la semaine dernière pour que le ministre, Jean-Baptiste Lemoyne, tel Bernard Kouchner à l’époque avec son sac de riz sur le dos, arrive avec des cartons à la main et se fasse photographier, comme par hasard en pleine campagne électorale pour les élections des conseillers considérés dans certains pays cibles ou comme par hasard, là où il y a un candidat à soutenir de la République en marche pour livrer des vaccins à la communauté française, c’est même plus cousu avec du fil blanc, c’est carrément cousu avec du câble
Donc, voilà où on en est, mais pas tous les pays ont la chance d’avoir une visite du ministre pour recevoir le vaccin. C’est vraiment une politique qui est à la fois écœurante parce qu’on voit bien que la santé publique et l’action sanitaire sont reléguées très loin derrière la com et les calculs politiques politiciens électoraux.
Joël-François Dumont : Vous venez de dire, très justement, que le gouvernement est toujours dans « une politique de com ». Je rappellerai deux faits significatifs à cet égard.
En début d’année, le gouvernement a fait savoir dans un communiqué à la presse qu’on allait vacciner dans les ambassades de France les Français de l’étranger. J’ai tout de suite cherché à me renseigner à l’ambassade, ce qui n’est pas évident, vu que depuis plusieurs années, l’ambassade de France à Berlin n’a plus de standard téléphonique… Quand j’ai réussi à joindre enfin quelqu’un, il m’a été répondu qu’il n’en « était pas question… Chacun se débrouille comme il peut ».
J’ajoute qu’aujourd’hui, aucun de nos diplomates en poste à Berlin n’a encore été vacciné à ce jour et, pire encore, ils ont tous reçu en début d’année un courrier électronique personnalisé leur interdisant de rentrer en France pour se faire vacciner ! Mais où allons-nous ?
Christophe André Frassa : Je sais. Je sais que de nombreux syndicats du ministère des affaires étrangères ont commencé à s’émouvoir pour parler « diplomatiquement » … Ils ont saisi officiellement leur ministre de tutelle, Jean Yves Le Driant, pour ne pas le citer, du profond malaise que la non-campagne de vaccination faite par leur ministère de tutelle allait créer à travers tout le réseau diplomatique dans le monde parce qu’ils étaient laissés à l’abandon dans des pays où il n’y avait pas de vaccination, dans des pays où il n’y avait pas de campagne de vaccination du tout et qu’on laissait ces agents consulaires et ces réseaux diplomatiques livrés à eux-mêmes, que ce soit de l’ambassadeur jusqu’aux simples agents de catégorie C. Ils étaient livrés à eux-mêmes et que s’ils pouvaient se faire vacciner par leurs propres moyens, tant mieux pour eux, sinon, et bien tant pis !
Quelle légèreté avec laquelle ce ministère a géré son personnel en temps de crise. Je rappelle qu’en droit du travail, c’est l’employeur qui est responsable de la santé de ses employés. Je trouve que, là aussi, il y aura beaucoup à redire une fois que la crise sera passée et j’espère bien qu’on demandera des comptes à l’État en tant qu’employeur et au ministre encore, comme le dit le code administratif, en tant que chef de service.
Joël-François Dumont : Ce matin il n’y a pas que la presse allemande, mais toute la presse européenne, pour constater que le président Macron avait « un problème » décidément, avec les policiers, avec les militaires, on se demande s’il n’a pas également un problème avec les Français de l’étranger ?
On n’oublie pas, dès qu’il a été élu, que dans les premières déclarations qu’il a pu faire, il laissait supposer que les Français de l’étranger étaient « des gens riches » qui cachaient leurs revenus pour ne pas payer l’impôt en France. C’est tout juste s’ils ne roulaient pas tous en Ferrari alors que la réalité est très différente, vous la connaissez bien comme sénateur de ces français de l’étranger…
Vous vous êtes même interrogé au début de cet entretien pour savoir si les Français de l’étranger ne seraient pas, pour une certaine classe politique, des Français de seconde zone ?
Christophe André Frassa : Je vais vous dire. Depuis quatre ans maintenant qu’il est arrivé à la magistrature suprême, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron ne se soit pas intéressé aux Français de l’étranger, mais de la façon dont il s’est intéressé aux Français de l’étranger, j’aurais préféré qu’il ne le fit pas, parce qu’évidemment, en matière fiscale, nous avons été particulièrement soignés, que ce soit l’imposition forfaitaire qui est passé de 20 à 30%.
Que ce soit la CSG-CRDS ou, à par les Français de l’Union européenne, tous ceux qui vivent hors de l’Union européenne sont toujours assujettis à la CSG-CRDS, alors qu’il y avait un engagement du candidat Macron à régler ce problème. Il ne l’a jamais fait.
Oui, il y a, une maltraitance des Français de l’étranger par Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs.[5] Parce que je pense qu’il a une méconnaissance profonde de la réalité et de ce que sont les Français de l’étranger, de ce qu’est la communauté française à l’étranger. Il y a ce qu’en disent les médias. Il y a ce qu’en disent évidemment la gauche et l’extrême gauche.
Quand on voit que la France insoumise fait un rapport parlementaire sur l’imposition, sur la nationalité avec, en toile de fond et en trame de fond, le fait que parce que nous sommes français, partis à l’étranger ou nés à l’étranger, parce que beaucoup de Français de l’étranger aujourd’hui sont des natifs de l’étranger, et non pas des expatriés au sens où on l’entendait encore il y a une trentaine d’années. Parce qu’on est à l’étranger, on échappe à notre devoir de bons citoyens et qu’il y a toujours ce soupçon d’être à l’étranger pour échapper à quelque chose. Ce rapport de la France insoumise sur l’imposition et la nationalité laisse vraiment suinter ce côté « Il faut les taxer parce qu’ainsi on leur rappelle leur devoir de citoyen ».
Nous sommes toujours dans cette stigmatisation des Français de l’étranger en matière fiscale que je trouve extrêmement malsaine, extrêmement nauséabonde, parce qu’on oublie, souvent, que sur ces 3.400.000 Français de l’étranger, évidemment ils ne sont pas tous en âge et en mesure d’être assujettis à l’impôt, d’abord, mais que sur le nombre de ceux qui sont en âge et en mesure d’être assujettis à l’impôt, presque 65% payent et acquittent un impôt à la France d’une manière ou d’une autre, que ce soit sur les retraites qu’on perçoit depuis la France, des revenus qu’on perçoit depuis la France ou tout simplement des impôts indirects que l’on paye parce qu’on a tous gardé un bien en France pour avoir un lien avec la France, parce qu’il ne faut pas oublier que la plupart du temps – pour pas dire très majoritairement, très largement – les Français de l’étranger sont quelquefois beaucoup plus attachés à la France que ne le sont les Français de métropole.
Joël-François Dumont : Votre collègue, le sénateur Ronan Le Gleut, s’est étonné de la lettre qu’Emmanuel Macron venait d’adresser aux Français de l’étranger, la première en quatre ans, pour vanter justement son bilan en faveur des Français de l’étranger.[1]
Que pensez-vous, Monsieur le Sénateur, du bilan d’Emmanuel Macron en faveur des Français de l’étranger ? Est-ce que la vraie raison de tout cela, ce n’est pas un moyen de « pêcher » les voix de ces Français qui votent, ils sont plus de 3.400.000 pour la prochaine présidentielle ?
Christophe André Frassa : Je vais vous dire, moi, à quoi cette lettre d’Emmanuel Macron, de trois pages m’a fait penser : à une citation de Talleyrand qui disait « Quand on a raison, on n’écrit pas trois pages ». Et puis, c’est vrai que, tout à coup, cette lettre tombe, évidemment pas comme par hasard, en plein milieu d’une campagne électorale… Évidemment c’est un long plaidoyer d’autosatisfaction où tout a été réussi. Tout a été fait grâce à lui et à ses gouvernements et que rien n’avait été fait avant lui.
Le problème c’est qu’il suffit de se reporter au programme du candidat Emmanuel Macron qui est toujours en ligne sur le site d’En marche. Dans ce programme et dans les promesses électorales du candidat en 2017 pour les Français de l’étranger, il s’était assigné, je les ai sous les yeux, quatre objectifs sur l’enseignement, sur la fiscalité, sur l’administration et sur un dialogue et la simplification.
On peut dire, pour simplifier, qu’en matière d’enseignement, les actes contredisent les mots. Parce qu’on a perdu 512 postes d’enseignants depuis 2018. Le budget a été abaissé, dès la première année, de 33 millions. Certes il a été remonté depuis de 25 millions. Mais cela fait toujours 8 millions qui manquent. Sur la protection sociale, on pourrait dire « tout ça pour ça » parce que pour la CSG-CRDS, il n’a rien fait. Il a dit, je le cite, « nous réexaminerons le régime mis en place en 2013 sur l’assujettissement des Français à payer la CSG-CRDS ».
Résultat, rien. Résultat, chaque année, tous les sénateurs, déposent et font adopter par le Sénat un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, un amendement de suppression de la CSG-CRDS pour les Français de l’étranger hors de l’Union européenne, qui sont les derniers à, encore, le subir. Et chaque année, la majorité en marche à l’Assemblée nationale le rétablit ! Alors si c’est ça le fameux réexamen, oui, on peut dire « tout ça pour ça ».
Son troisième objectif, c’est de faire en sorte que les Français de l’étranger soit plus proches des élus et mieux entendus au niveau national. On peut dire là aussi que l’on est très très loin des réalités du terrain… Il a créé une sorte de système en ligne pour se connecter, mais qui ne marche pas… Avec un besoin de clarification pour le moins.
Les députés des Français à l’étranger, on les voit dès qu’un ministre a besoin de se faire prendre en photo quand il va sur le terrain. Mais on peut pas dire qu’il y ait une grande appétence pour ces députés qui ont été élus pour aller à la rencontre des Français qui les ont élus, parce que ce ne sont pas des élus de terrain, voilà.
De même, on attend toujours : il avait parlé d’une assemblée des Français de l’étranger avec une meilleure articulation entre le gouvernement et les élus. On attend toujours, là aussi.
Et enfin son quatrième grand objectif, c’était « plus de dialogue, plus de participation et plus de simplification. » Alors il a créé France Connect. Personnellement, tous les Français, tous les élus, les Français de l’étranger avec qui on en parle me disent tous la même chose. On a essayé. Les Français qui ont essayé, vous disent : « à chaque fois ça ne marche pas, ça reste coincé parce qu’ils n’ont pas prévu un France Connect adapté aux Français de l’étranger », il y a toujours un bug, il y a toujours quelque chose et puis surtout, est-ce que on obtient un miracle avec un clic ?
Le problème, c’est que le ministère des Affaires étrangères a supprimé 331 emplois depuis trois ans. Voilà, est-ce que le tout numérique, est-ce que le tout dématérialisé est la seule réponse à apporter à nos Français à travers le monde ? Je ne le pense pas, parce qu’on a aussi des personnes âgées, des personnes qui ne sont pas non plus aguerries à Internet etc. C’est ce que l’on a appelé en France avec un terme « illectronisme ». Des personnes qui ne sont pas, j’allais dire, au fait de tout ce qui est Internet et qui ont besoin quelques fois d’avoir tout simplement un contact humain avec une administration. Voilà et je vais vous dire, pour le coup, que la pandémie a été révélatrice aussi de tout ça.
Voilà donc le bilan d’Emmanuel Macron. Quand on a raison pour conclure là-dessus comme je le disais au début, on n’écrit pas trois pages.
Joël-François Dumont : Vous venez de dire quelque chose de très juste. Je prends l’exemple de l’Allemagne, Berlin, Hambourg, Kiel, la grande circonscription du Nord, comme pour d’autres grandes villes. C’est un pays quand même très riche, économiquement très développé. Tous les Français ne sont pas immatriculés régulièrement à l’ambassade de France. Mais tous les Français qui le sont, donc répertoriés, sur l’ensemble, 40% d’entre eux ne pourront pas voter à ces élections consulaires parce qu’ils ne recevront pas les éléments complets pour voter. Parce que les uns n’ont pas de smartphone, d’autres n’ont pas d’adresse internet. C’est quand même 40% de Français vivant en Allemagne, de l’autre côté du Rhin, qui ne pourront pas voter à cette élection. C’est quand même scandaleux.
Christophe André Frassa : Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y ait pas, en amont de ces élections, de grande politique incitatrice pour que les gens s’inscrivent sur les listes. On a mis des messages sur les sites des ambassades… J’aimerais bien savoir combien de compatriotes passent régulièrement sur les sites des consulats, des ambassades, pour voir qu’il y a dessus. C’est ça qui est un peu désolant, qui est un peu désespérant, c’est que on ne fait pas, j’allais dire, une campagne, j’allais dire d’information, digne de ce nom auprès de nos compatriotes. Évidemment parce que on est dans l’idée du tout numérique, du tout dématérialisé. On en voit, hélas, la limite régulièrement.
Voilà, c’est cela qui est un peu dommage et quelquefois un peu désespérant de penser qu’on a en face de nous des gens qui ne jurent que par le petit bout de la lorgnette et pas évidemment le grand jeu.
Joël-François Dumont : Monsieur le Sénateur, je vous remercie.
[1] Fonds d’urgence pour les Français de l’étranger : on ne lâche rien ! – Tribune de Ronan Le Gleut in Le Petit Journal – 30 Novembre 2020.
[2] Défendre les Droits fondamentaux des Français de l’étranger – Entretien avec Ronan le Gleut, Sénateur des Français de l’étranger – 27 avril 2021
[3] Le fonds d’urgence pour les Français de l’étranger revient au Sénat. Rencontre avec le sénateur Ronan Le Gleut in Lesfrançais.press – 2 décembre 2020
[4] Vigilance et solidarité pour développer la France d’outre-frontière : Entretien avec l’ambassadeur François Barry Delongchamps, président de l’Union des Français de l’étranger (UFE) – 27 Avril 2021.
[5] Voir Jacky Deromedi : « Les expatriés sont massacrés sur beaucoup de plans » par Aurélie Billecard in Le petitjournal.com (24-11-2020)