Vigilance et solidarité pour développer la France d’outre-frontière

Entretien avec le président de l’UFE, l’ambassadeur François Barry Delongchamps

Joël-François Dumont : Monsieur Barry Delongchamps, monsieur l’Ambassadeur, merci de bien vouloir répondre aux questions de la Voix du Béarn. Cette radio relie ceux qui vivent géographiquement sur cette terre de France, à des dizaines de milliers d’auditeurs dans le monde, parmi lesquels on trouve à la fois de très nombreux compatriotes, expatriés, auxquels se sont joints ceux que l’on désigne souvent comme « des amoureux de la France ». L’une des missions que La Voix du Béarn s’est assignée est de maintenir un lien fort avec cette diaspora française, entre ces « Béarnais de terroir ou de raison » et ces « Béarnais de cœur ». Loin des yeux, mais pas du cœur !

Les Français de l’étranger ont longtemps été négligés par la France, c’est un fait. Aujourd’hui, les moyens de communication dans le monde se sont considérablement développés. La démocratie est devenue le modèle politique de référence. On voyage, on téléphone, on échange en temps réel sur les réseaux sociaux, sur Internet. Ce lien est aujourd’hui beaucoup plus visible. Il est permanent. Il n’est pas rompu.

Il n’empêche que les droits fondamentaux de ces Français expatriés peuvent se trouver parfois menacés : que ce soit dans leur pays de résidence mais aussi, parfois, en France : je pense en particulier à des retraités ou à ces expatriés qui au bout de 20 ans voudront revenir au pays, sans oublier des milliers d’étudiants.[1]

L’association qui représente le mieux ces expatriés Français pour faire valoir leurs droits, promouvoir une entraide, la plus ancienne, est, sans aucun doute l’UFE, l’Union des Français de l’étranger, une association qui est présente dans presque tous les pays du monde.

François Barry Delongchamps, vous avez longtemps été Ambassadeur de France. Vous avez été élu en mars 2018 président de cette UFE-Monde, pourriez-vous nous présenter cette Union des Français de l’Étranger ?

François Barry Delongchamps : Oui, je vous remercie beaucoup de votre question. L’Union des Français de l’étranger est une grande association représentative des Français de l’étranger qui a été créée en 1928 et qui est à l’origine de tous les droits qui ont été accordés aux Français de l’étranger.

Cette association a été créée, au départ, pour faire en sorte que les veuves de guerre et les orphelins de guerre de la guerre de 14 soient reconnus à l’étranger aussi bien qu’en France et depuis son existence, l’UFE a continué à œuvrer pour tous les droits, que ce soit les droits politiques, la représentation politique des Français de l’étranger, par d’abord, le Conseil supérieur des Français de l’étranger, puis les sénateurs des Français de l’étranger, puis la santé des Français de l’étranger, les députés aujourd’hui, les droits sociaux qui ont abouti à la création de la Caisse des Français de l’étranger. Nous insistons aussi beaucoup sur la scolarité, le réseau des écoles françaises à l’étranger, parce que l’enseignement, c’est le lien essentiel, et la formation du citoyen français, aussi bien à l’étranger qu’en France.

Notre mot d’ordre, c’est l’entraide et la convivialité

Nous sommes dans une centaine de pays, nous avons 178 inspections que nous appelons des représentations. Nous sommes une association reconnue d’utilité publique depuis 1946. Nous avons donc une très large couverture des Français dans le monde.

Nous cherchons à rassembler, c’est pour ça que nous sommes apolitiques. Nous sommes détachés de toute confession religieuse et appartenance politique. Ça ne veut pas dire que nous soyons neutres. Nous avons l’occasion de prendre position, parfois très fermement, quand les intérêts ou les droits des Français de l’étranger sont en cause et c’est arrivé déjà à plusieurs reprises. Nous sommes aussi très solidaires les uns des autres. Notre mot d’ordre, c’est l’entraide et la convivialité. L’idée centrale, c’est qu’aucun Français ne se sente seul à l’étranger. Voilà, si vous voulez, je peux vous présenter notre association de cette manière.

Joël-François Dumont : François Barry Delongchamps, vous êtes ambassadeur de France. Vous avez derrière vous une longue expérience diplomatique à l’étranger qui vous a mené de Québec à Moscou, à Londres, à Washington, à Varsovie, à l’UEO, à Singapour – je ne cite là que vos principales affectations, mais il y en a une autre que je souhaite évoquer : de 2002 à 2007, pendant cinq ans, vous avez conduit la direction des Français à l’étranger et des étrangers en France au Quai d’Orsay.

Récemment, lorsque les expatriés français ont entendu proclamer à Paris que le territoire français leur était désormais interdit au nom du combat mené contre la pandémie… votre sang n’a fait qu’un tour et, en bon diplomate, vous avez fait appel de cette décision et le Conseil d’État vous donné raison. Interdire le retour de Français en France, comme nous l’a dit sur cette même antenne le sénateur Ronan Le Gleut, c’était du « jamais vu »,[1] fallait le faire comme on dit ! Le sénateur Le Gleut a d’ailleurs salué votre courage et l’opiniâtreté dont vous avez fait preuve en livrant cette bataille plus que symbolique. Un épisode quand même « étonnant » des relations franco françaises …

En votre qualité de président de l’UFE-Monde quelles leçons tirer de ce combat qui est effectivement plus que symbolique ? Faut-il toujours rester vigilant pour défendre les expatriés français ?

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Ambassadeur François Barry Delongchamps – Portrait © UFE

François Barry Delongchamps : C’est un épisode effectivement, malheureusement, malheureusement très caractéristique de ce qui se passe souvent. C’est-à-dire que les Français de l’étranger ne descendent pas dans la rue et donc, ne sont pas considérés avec la même attention – et je le dis en pesant mes mots – que les ressortissants français ou les habitants du territoire français ou des territoires d’outre-mer, qui, par exemple, ne sont pas non plus du tout considérés comme une catégorie représentée au Conseil économique, social et environnemental.

Quand j’ai lu le décret du 30 janvier qui créait ces soi-disant « motifs impérieux » [2] qu’un Français peut justifier, pour ceux qui habitaient en dehors de l’Union européenne, comme vous l’avez très bien dit, « mon sang n’a fait qu’un tour ».

J’ai considéré que c’était une atteinte à un droit fondamental. Je me suis renseigné auprès de gens que je connais bien puisque j’étais à la tête du réseau des consuls et consuls généraux de France à l’étranger pendant cinq ans. Je ne voulais pas m’aventurer et je me suis bien renseigné et assuré que c’était contraire aux droits fondamentaux. C’est même contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui dispose que nul ne peut être empêché d’accéder au pays dont il est ressortissant.

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« Il existe un doute sérieux quant à la légalité des décrets dont la suspension est demandée » (Conseil d’État) [2]

Mais il y avait une autre raison. C’était la discrimination évidente entre les Français de l’Union européenne et les Français des autres pays du monde. Dans l’espace européen, on y a ajouté d’ailleurs plus tard la Grande-Bretagne, les Français pouvaient accéder au territoire, les Français et les autres, il n’y avait aucune différence entre les Français et les autres ressortissants étrangers, pouvaient accéder au territoire français alors que c’était impossible – sauf motif impérieux – pour les Français du Canada, du Mexique et de Nouvelle-Zélande, etc… Des pays d’ailleurs qui étaient souvent beaucoup moins frappés par la pandémie que le territoire français.

Et donc, au nom de mon association, je suis allé devant le Conseil d’État en référé suspension, pour obtenir immédiatement la suspension de ce décret au nom de plusieurs arguments : celui que je viens de vous dire, c’est-à-dire un droit fondamental. Autant les restrictions d’ordre sanitaire sont parfaitement légitimes que ce soit les tests, l’isolement ou d’autres mesures qui sont, malheureusement, souvent prises avec beaucoup de précautions et de retard quand on compare la France à d’autres pays.

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Décision du Conseil d’État

Donc cela n’avait strictement aucun sens du point de vue sanitaire et cela a été beaucoup développé devant le Conseil d’État et c’était parfaitement discriminatoire. Voilà, ce qui nous a permis, et c’est une très bonne nouvelle d’obtenir satisfaction par rapport à ce décret.

Je pense que c’est plus qu’efficace parce que c’est symbolique, c’est une question de principe. Et j’espère que cela fera comprendre à nos autorités que nous avons des moyens de droit pour faire respecter les Français de l’étranger. Cela ne suffit pas, il faudrait aussi faire appel à d’autres moyens et d’abord les plus légitimes qui soient, puisque nous sommes extrêmement légalistes, extrêmement légitimistes. C’est pour ça d’ailleurs que ce recours devant le Conseil d’État était inhabituel puisque nous avons quand même l’habitude de nous inscrire dans le cadre de la plus grande collaboration avec le gouvernement, avec le ministère des Affaires étrangères. Donc c’était une situation inhabituelle et inattendue…

Joël-François Dumont : En votre qualité de président de l’UFE-Monde, Monsieur l’ambassadeur, quelles leçons tirer de ce combat qui est effectivement beaucoup plus que symbolique. Faut-il toujours rester vigilant pour défendre des expatriés français ?

François Barry Delongchamps : Oui il faut absolument être vigilant. Il faut que les Français de l’étranger se mobilisent, je dirais, dans deux directions. D’abord pour s’entraider, faire œuvre de de la plus grande solidarité les uns avec les autres et c’est ce qui se passe d’ailleurs le plus souvent et, aussi, être en contact étroit avec les ambassades et les consulats de France qui forment un réseau extrêmement capable, efficace et plein de bonne volonté.

Ce que ce que je préconise, justement, c’est cette double action. Une action de solidarité considérant que l’État ne peut pas tout, la sphère publique ne peut pas tout. C’est d’ailleurs un bon entraînement pour les Français de l’étranger de manière à faire face au recul relatif de l’État on dirait, et, en même temps, il ne faut pas oublier que l’État français dans le monde entier est celui qui fait le plus pour ses ressortissants à l’étranger. Il faut donc relativiser nos critiques.

En fin de compte, c’est cette double action de vigilance, de solidarité, qui nous permet de de développer cette France d’outre-frontière qui contribue énormément au rayonnement de notre pays. Parce-que les Français de l’étranger, sur tous les continents sont aussi les ambassadeurs de la France.

Joël-François Dumont : En 2012, vous étiez Ambassadeur de France à Varsovie. Bronislaw Komorowski, le président de la République polonaise vous a élevé à la dignité de commandeur dans l’ordre du mérite polonais. Vous êtes de ceux qui connaissent le livre de cette histoire de la France et de la Pologne, deux pays certes séparés par l’histoire, par l’Allemagne, mais traditionnellement proches et alliés depuis des siècles – un livre dans lequel figurent de très belles pages de cette histoire commune.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces relations bilatérales bien ternes… Comment expliquer que ces deux pays qui ont été toujours très proches se contentent de vivre aujourd’hui sur ces souvenirs, parfois tragiques ? On pourrait poser la même question depuis Prague ou Bratislava. La France perd-elle chaque jour son influence dans ces pays où elle a toujours été très forte ? Les expatriés français dans ces trois pays – pour ne citer que ceux-là – le ressentent. Qu’en pense le président de l’UFE ?

François Barry Delongchamps : Moi, je pense que nous avons une histoire longue et une histoire plus courte. Nous avons une histoire longue qui est comme d’ailleurs le disait le général de Gaulle, la France et la Pologne sont des peuples qui se ressemblent. Maintenant le malheur de l’un est toujours accompagné par le malheur de l’autre, quel que soit celui qui souffre le premier.

Nos destins sont très largement liés et tout montre que nos peuples et nos nations sont très proches. Aussi bien sur le plan sentimental, historique, qu’en ce qui concerne leurs intérêts objectifs.

La distance, je dirais, le fait qu’ils soient séparés par la géographie n’est pas fondamental de ce point de vue-là, même si, naturellement, nos relations les uns les autres avec le pays qui est entre les deux, c’est-à-dire l’Allemagne, sont également très importantes. Nous sommes aujourd’hui d’ailleurs dans une relation très favorable puisque nous avons, depuis la fondation de ce qu’on appelle le triangle de Weimar, une relation trilatérale qui est très riche.

Alors cela ne veut pas dire que nous n’avons pas, parfois, des intérêts divergents ou des postures qui nous blessent, qui nous irritent ou qui nous déçoivent.

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François Ier et Charles Quint se réconcilient sous l’impulsion du pape Paul III par Sebastiano Ricci, 1687 (Palais Farnèse)

Il est arrivé que Pologne déçoive la France. Je cite parfois l’élection de Charles Quint comme empereur où la Pologne avait voté contre François 1er, ce qui nous avait un peu chagrinés. Il y a eu aussi des situations où la France a manqué à la Pologne, au moment des partages. Et puis, et puis plus tard, en 1939 et puis voilà…

Et puis il y a eu des situations plus récentes ou c’est la Pologne qui aurait pu se montrer plus proche de la France. Donc il y a eu, il y a, des moments de temps en temps irritants, mais cela ne change pas le caractère profond de nos relations. Aujourd’hui, il est, disons, habituel de s’en prendre à la conception que les uns et les autres ont de l’État de droit. Nous n’avons pas toujours les mêmes valeurs.

Nous sommes parfois séparés par notre relation à l’Église catholique. L’histoire est différente. J’ai essayé de le montrer en Pologne. La France a une relation avec l’Église catholique. L’État français a une relation d’État avec l’Église catholique, avec la papauté, avec le Saint-Siège qui est différente de celle de la Pologne. Cela a des conséquences parce que la religion, c’est quelque chose qui est st très important dans la vie d’un peuple. La situation de la Pologne vis-à-vis des religions n’est pas la même que celle de la France. Cela a des conséquences, effectivement, en termes de valeurs : par exemple, le refus de la France de considérer que l’Europe avait des origines chrétiennes a blessé, a choqué en Pologne. De même qu’en France, on est parfois surpris aujourd’hui par la conception un peu traditionaliste de la Pologne vis-à-vis de certains problèmes que l’on appelle sociétaux. Je ne suis pas là pour trancher, pour donner raison ou tort aux uns ou aux autres.

Joël-François Dumont : Aujourd’hui, l’Europe centrale et l’Europe orientale depuis les pays baltes jusqu’au Bosphore semblent bien seuls face à l’hégémonique projet de Vladimir Poutine de reconquête impériale pour rétablir sinon les frontières du moins l’influence de l’ex-URSS. C’est un fait !

Le président Ukrainien, Volodymyr Zelensky, est venu à Paris le 17 avril dernier pour y rechercher l’appui de la France et de l’Allemagne, pays cosignataires des accords de Minsk.

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Accords de Minsk – 11 février 2015 – Source : Euromaidanpress.com

Rappelons qu’en 1994, son pays a renoncé à son potentiel nucléaire en signant, à la demande des Occidentaux, le protocole de Budapest, rendant à Moscou l’armement nucléaire dont il disposait, en échange d’une garantie de sécurité des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la Russie et de la France, pays qui se sont tous engagés à respecter et faire respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Une intégrité qui, aujourd’hui, est plus que menacée d’une invasion militaire qui ne dit pas son nom, comme la Crimée en février 2014 ou la Géorgie en août 2008.

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Réunion au siège de l’OTAN de la Commission OTAN-Ukraine le 13 avril 2021 – Photo © OTAN

Le président Zélensky est reparti de Paris la semaine dernière les mains vides. Une attitude commentée, on peut s’en douter, dans tous ces pays qui se sentent aujourd’hui directement menacés, des pays qui ne croient déjà plus en cette Europe qui les abandonne pour s’en remettre désormais aux États-Unis et à l’OTAN ?

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Volodymir Zelensky et Emmanuel Macron à l’Élysée – Photo © E-S

Pensez-vous, Monsieur l’Ambassadeur, que l’on va se « réveiller » en France et en Allemagne, en Europe, et tenir nos engagements ? Je rappelle qu’il n’y a pas que l’option militaire mais que des sanctions, des sanctions véritables, seraient très efficaces. Quel est votre sentiment !

François Barry Delongchamps : Mon sentiment d’abord. Je vous dirais que je connais bien le traité qui a été conclu à Budapest. Je le connais bien parce que j’ai participé à sa formulation. A l’époque, j’étais le chef du service des affaires stratégiques du Quai d’Orsay.

Le renoncement de l’Ukraine aux armes nucléaires était un élément très important de la nouvelle Europe et de la non-prolifération des armes nucléaires. Effectivement en échange, les puissances nucléaires, en particulier, s’étaient engagés, se sont engagées, à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

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Photo EMPR – Kiev

La Russie a commis des manquements parfaitement évidents et sérieux, donc là-dessus, il n’y a pas de doute à avoir. Pour autant la Russie est un partenaire très important de la France et de l’Europe occidentale, c’est également une évidence.

Maintenant que pouvons-nous faire si l’intégrité territoriale de l’Ukraine est en cause ? Nous avons des instruments normaux des relations internationales et c’est pour cela qu’on est Français, parce que nous sommes censés veiller au respect de ces principes et de ces règles.

Si vous posez la question que pouvons-nous faire ?

Il faut d’abord avoir une réflexion générale

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Sans l’Ukraine, en 1991, avec une grande stupeur, la Russie doit découvrir ce qu’elle n’a jamais été, c’est-à-dire un État-nation. La Russie a toujours été un empire, la Russie n’a jamais été un État-nation. Avec l’Ukraine, la Russie était un empire. Sans l’Ukraine, il faut qu’elle se trouve sa place comme État-nation.

C’est un enjeu important et considérable. Nous devons réfléchir à cela et nous devons en être conscients. Mais dans l’autre sens, c’est vrai que des pays qui sont proches, comme la Pologne et d’autres pays d’Europe centrale, savent très bien que si la Russie redevient un empire avec l’Ukraine, ils sont ennemis. Ils le savent. Donc ils préféreraient, et c’est un euphémisme, que l’on reste dans les frontières actuelles.

Maintenant, je ne peux pas vous dire, ce n’est pas mon rôle, aujourd’hui je n’ai pas les informations qu’il faut pour vous dire comment agir, techniquement, diplomatiquement, ou autre pour faire face à cette crise. Je sais bien que l’actualité est très sensible dans ce domaine, parce-que ce n’est pas seulement l’Ukraine, c’est le Caucase, c’est la mer Noire. C’est le rôle et le jeu de la Turquie et d’un certain nombre d’autres pays.

Ce que je crois moi, c’est que l’Europe s’est construite en s’imaginant qu’elle pourra se passer de la puissance. Parce que la puissance gouverne le monde. Si elle veut renoncer à la puissance, il lui faudra renoncer aussi à exister, il faudrait arriver à l’Europe sans la puissance.

Ce qui est arrivé à la Pologne d’avant les partages, c’est-à-dire une zone de tolérance, de diversité, de prospérité dans la diversité. Les États voisins, mieux armés et prédateurs, n’hésiteront pas à s’en débarrasser et à se partager le reste.

Donc l’Europe devrait être très attentive à cela. Peut-être avoir la puissance ? Veut-elle la puissance ? Veut-elle contribuer à la paix et à la stabilité internationales ? Ce sont des questions qu’elle doit se poser. Peut-être qu’elle ne peut pas répondre ? Si elle ne veut pas répondre, je suis alors très inquiet pour son avenir.

Joël-François Dumont : Il me reste, Monsieur l’ambassadeur, à vous féliciter et à vous remercier pour ce combat en ma qualité d’expatrié et à vous remercier en ma qualité de journaliste pour avoir participé à notre émission.


[1] Entretien avec Ronan Le Gleut, Sénateur des Français de l’étranger sur La Voix du Béarn (2021-04-24)

[2] Retour en France : L’UFE obtient la suspension des motifs impérieux in Expat.com (2021-03-16) & « Interdiction aux Français de rentrer en France : entre frustration et incompréhension » (2021-03-10)

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, concluait au « rejet de la requête ». et soutenait « qu’aucun moyen » n’était « propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions dont la suspension est demandée. »

Le Conseil d’État en a décidé autrement et a donné raison à l’Union des Français de l’Étranger avant de condamner l’État à verser 3000 € au titre de l’article L. 761-1 à l’UFE en disant :

« Il existe un doute sérieux quant à la légalité des décrets dont la suspension est demandée ;

la condition d’urgence est satisfaite, dès lors que les dispositions contestées, qui font obstacle au retour des ressortissants français sur le territoire national s’ils ne peuvent présenter le résultat d’un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de 72 heures avant le vol ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 et justifier en outre d’un motif impérieux, portent une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts matériels et moraux de ses membres ;

il existe un doute sérieux quant à la légalité des décrets dont la suspension est demandée ;

les dispositions contestées du décret du 15 janvier 2021 portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir ainsi qu’au droit de mener une vie familiale normale dès lors que, en premier lieu, elles imposent à tout ressortissant français établi hors de France et provenant d’un Etat étranger de réaliser un examen biologique de dépistage avant son départ, sans réserver l’hypothèse d’une dispense pour indisponibilité des tests, force majeure ou motif impérieux, en second lieu, elles ne sont pas justifiées par le risque sanitaire puisqu’elles ne sont pas applicables aux déplacements en provenance de l’Union européenne, où la situation sanitaire est très préoccupante, notamment en raison des variants ;

elles méconnaissent le principe d’égalité dès lors qu’elles créent une distinction entre les ressortissants français établis à l’étranger et ceux établis dans l’Union européenne, en Norvège, en Islande, en Andorre, au Saint-Siège, à Monaco, au Liechtenstein, à Saint Marin ou encore en Suisse, qui ne peut être justifiée par la lutte contre la propagation des variants, déjà présents sur le territoire national ;

– les dispositions contestées du décret du 30 janvier 2021 méconnaissent le champ d’application des dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique et sont entachées d’incompétence dès lors que le législateur n’a pas entendu confier au Premier ministre le pouvoir d’interdire l’entrée sur le territoire français à ses ressortissants, ni même de subordonner cette entrée à la justification d’un motif impérieux ;

– elles méconnaissent les stipulations de l’article 3 du protocole 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu’elles restreignent le droit conféré à toute personne d’entrer sur le territoire de l’Etat dont elle est ressortissante, qui revêt un caractère général et absolu ;

– elles portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir ainsi qu’au droit de mener une vie familiale normale et méconnaissent les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique en ce qu’elles ne sont pas justifiées par le développement de l’épidémie ni par l’apparition des variants, déjà présents sur le territoire français, et que le ministre n’établit en rien le risque d’un afflux élevé, sur le territoire national, de Français établis hors de France ;

– elles méconnaissent le principe d’égalité, dès lors qu’il n’existe pas de différences de situation, au regard de l’objectif de sauvegarde de la santé publique, entre les résidents de l’Union européenne et les ressortissants français résident à l’étranger justifiant une différence de traitement ;

elles méconnaissent le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit au recours effectif dès lors que, d’une part, le refus d’embarquer opposé par une entreprise de transport, personne privée, ne peut faire l’objet d’aucun recours effectif et, d’autre part, l’entreprise de transport a accès à des informations personnelles touchant au motif du voyage, et notamment des informations couvertes par le secret médical ;

elles méconnaissent l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité du droit ainsi que le principe de sécurité juridique dès lors que les motifs impérieux qu’elles prévoient sont imprécis et qu’aucun critère d’appréciation objectif n’est énoncé ;

elles méconnaissent l’exigence constitutionnelle de protection de la santé dès lors qu’elles subordonnent le droit de rentrer pour un motif de santé à la constatation d’une situation d’urgence ;

en confiant une activité de police administrative, à savoir le contrôle du motif de déplacement et le pouvoir de refuser l’embarquement, à des entreprises privées de transport, elles violent l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, à titre subsidiaire, celles de l’article 34 de la Constitution.

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-03-12/449743