Depuis plus de 50 ans, l’UFE Berlin n’a jamais manqué certains anniversaires. C’est devenu au fil des années une tradition. « La tradition n’est pas le culte des cendres, elle est la préservation du feu » comme l’a souligné Gustav Mahler.
Il y a des dates comme le 8 mai, le 14 juillet ou encore le 11 novembre qui sont une occasion renouvelée depuis 1919 de « se souvenir et de méditer » avec une pensée pour nos anciens.
Un peu avant le départ des troupes françaises, en 1994, un petit monument a été érigé devant notre ancien Quartier Napoléon qui, pendant un demi-siècle, a été le siège des Forces Françaises de Berlin (FFB). On doit cette initiative au Colonel Bertrand-Louis Pflimlin avant son retour en France pour commander la 1e Brigade logistique.
Depuis le départ de nos forces, l’ambassadeur de France à Berlin et notre Attaché de Défense déposent ces jours-là une gerbe à la mémoire de tous ceux qui sont « tombés pour Berlin ».
La Bundeswehr s’associe très régulièrement à ces commémorations avec des militaires en tenue, un clairon, en présence du général commandant la place de Berlin qui dépose également une gerbe.
Le nouveau commandant, le général de brigade Jürgen Karl Uchtmann, a repris le flambeau le 1er octobre dernier, en succédant au général Andreas Henne qui a toujours soutenu les activités visant à rapprocher Français et Allemands dans ce quartier chargé d’histoire. Le général de division Henne a toujours accordé son soutien aux rencontres et aux manifestations franco-allemandes initiées par l’UFE Berlin.
Fidèle à cette tradition, pour commémorer la fin de la Seconde Guerre Mondiale en Europe et la capitulation du Reich nazi, les Français de Berlin, rassemblés sous la bannière de l’UFE se retrouvent donc régulièrement devant ce monument au côté d’associations patriotiques françaises, comme le Souvenir français et l’ASSDN.
Avec invariablement une couronne de fleurs de nos amis de la Berlin Branch de la Royal British Legion, les Britanniques, qui en 1945, ont imposé à leurs côtés l’installation de troupes françaises d’occupation à Berlin.
En raison de l’épidémie de Covid, les dépôts de gerbe se font avec des délégations réduites et séparément, comme ce fut déjà le cas en 2020.
Une gerbe a été déposée ce 8 mai par Xavier Doucet, président de l’UFE Berlin, et par Nicole Krämer, vice-présidente, au pied du monument français.
Après quelques mots d’introduction pour rappeler l’attachement de cette tradition, Xavier Doucet a terminé son propos en l’illustrant de deux citations qui ont encore aujourd’hui tout leur sens.
Le premier extrait est une déclaration du Général de Gaulle. Le chef de la France Libre, qui le jour de la victoire tenait ces propos :
« Tandis que les rayons de la gloire font, une fois de plus, resplendir nos drapeaux, la Patrie porte sa pensée et son amour d’abord vers ceux qui sont morts pour elle, ensuite vers ceux qui ont, pour son service, tant combattu et tant souffert. Pas un effort de ses soldats, de ses marins, de ses aviateurs, pas un acte de courage ou d’abnégation de ses fils et de ses filles, pas une souffrance de ses hommes et de ses femmes prisonniers, pas un deuil, pas un sacrifice, pas une larme n’auront donc été perdus !
Dans la joie de la fierté nationale, le peuple français adresse son fraternel salut à ses vaillants alliés, qui, comme lui, pour la même cause que lui, ont durement, longuement prodigué leurs peines, à leurs héroïques armées et aux chefs qui les commandent, à tous ces hommes et à toutes ces femmes, qui, dans le monde, ont lutté, pâti, travaillé, pour que l’emportent, à la fin des fins ! La justice et la liberté.
Honneur ! Honneur pour toujours ! À nos armées et à leurs chefs ! Honneur à notre peuple, que des épreuves terribles n’ont pu réduire, ni fléchir ! Honneur aux nations unies qui ont mêlé leur sang à notre sang, leurs peines à nos peines, leur espérance à notre espérance et qui, aujourd’hui, triomphent avec nous !
Voici la victoire ! C’est la victoire des nations unies et c’est la victoire de la France !
Vive la France ! »
Le deuxième texte est extrait d’un discours du président de la République fédérale d’Allemagne de 1984 à 1994, Richard von Weizsäcker, discours prononcé lors de la « commémoration du 40e anniversaire de la fin de la guerre en Europe et de la tyrannie nationale-socialiste ». Propos tenus devant les parlementaires ouest-allemands réunis au Reichstag le 8 mai 1985 à 11 h. 00, dans la salle des séances du Bundestag.
« Pour nous, Allemands, le 8 mai n’est pas un jour de fête. Ceux qui ont vécu cette journée en toute lucidité se souviennent de moments tout à fait personnels et par là très différents les uns des autres. Ce jour-là, certains rentraient au pays, d’autres perdaient leur patrie. Ce jour-là, certains étaient libérés, d’autres faits prisonniers. Nombreux ceux qui étaient tout simplement reconnaissants que les nuits de bombardement et la peur prennent fin et qu’ils en sortent vivants. D’autres ressentaient une grande douleur devant la défaite totale de leur propre patrie. Certains Allemands étaient remplis d’amertume face à des illusions détruites, d’autres remplis de reconnaissance pour le nouveau départ qui leur était donné.
Choisir immédiatement une orientation claire était difficile. L’incertitude remplissait le pays. La capitulation militaire avait été inconditionnelle. Notre destin se trouvait dans les mains des ennemis. Le passé avait été terrible, précisément aussi pour bon nombre de ces ennemis. N’allaient-ils pas nous revaloir sous de multiples formes ce que nous leur avions fait ? La plupart des Allemands avaient eu la conviction de lutter et de souffrir pour la bonne cause de leur pays. Et voilà qu’ils étaient obligés de constater que tout cela avait été non seulement vain et absurde, mais aussi que cela avait servi les objectifs inhumains de dirigeants criminels. Épuisement, désarroi et inquiétudes nouvelles caractérisaient les sentiments de la plupart d’entre nous. Allions nous retrouver les membres de notre famille ? Reconstruire dans ces ruines, était-ce bien raisonnable ? Nos regards se portaient en arrière vers le sombre abîme du passé et en avant vers un sombre avenir incertain.
Néanmoins, le sentiment se fit jour peu à peu, ce même sentiment que nous ressentons tous aujourd’hui et qui nous fait dire que le 8 mai a été un jour de libération. Ce jour nous a tous libérés du système de la tyrannie nationale socialiste édifiée sur le mépris de l’homme.
A la place de l’asservissement, nous avons mis la liberté démocratique. Quatre ans après la fin de la guerre, en 1949, le même 8 mai qu’aujourd’hui, le Conseil parlementaire adopta notre Loi fondamentale. Se plaçant au delà dès barrières entre les partis, les démocrates de ce Conseil parlementaire donnaient leur réponse à la guerre et à l’oppression dans l’article 1 de notre Constitution: « En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l’homme des droits inviolables et imprescriptibles comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde. »
Pour Xavier Doucet, « c’est le sens du 8 mai qu’il s’agit aujourd’hui de nous remémorer ».
Ce sentiment s’est depuis affirmé au point que nombre d’Allemands considèrent cette date du 8 mai comme celle d’une victoire pour la liberté retrouvée contre la tyrannie nazie.
Il y a après chaque guerre, comme l’a rappelé Xavier Doucet, des vainqueurs et des vaincus. Aujourd’hui ne demeure plus que le souvenir d’une grande victoire contre la barbarie dans laquelle les Alliés ont joué un rôle historique au prix de sacrifices humains et matériels considérables. Les Berlinois en sont conscients et ne manquent jamais de célébrer certains anniversaires, comme celui du pont aérien qui a sauvé la population d’une volonté affirmée de les condamner à une famine certaine, à moins de se soumettre au joug de l’URSS.
Rien d‘étonnant à cela que l’idée de créer un jour férié à Berlin le 8 mai progresse chaque année davantage. C’est sur les ruines de la capitale du Reich dévastée que nous avons rebâti, ensemble, un avenir sain, juste et libre.