Discours [1] du président du Volksbund, le général Wolfgang Schneiderhan, [2] lors de la cérémonie officielle de commémoration du Jour de deuil national le 19 novembre 2023 dans la salle plénière du Bundestag devant 1200 invités.
Sources : Volskbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge e.V. & Bundestag — Berlin, le 19 novembre 2023.
Sommaire
« La guerre en Europe » – pendant de nombreuses années après 1945, ce n’était qu’un titre dans les livres d’histoire. Il semblait que tous les hommes avaient finalement appris la leçon, à savoir que les guerres ne résolvent pas les problèmes, mais en créent, et ce au prix d’énormes souffrances humaines et de lourdes pertes matérielles. Malheureusement, nous nous sommes collectivement trompés.
Le message de paix n’est pas passé partout
Les guerres yougoslaves des années 1990, puis les agressions russes sur la Géorgie en 2008 et sur l’est de l’Ukraine depuis 2014 ont déjà montré que ce message n’était pas passé partout en Europe.
Depuis 2022, une guerre d’agression de la Russie contre toute l’Ukraine fait désormais rage au cœur de notre continent. Cela finira par se produire tout près de chez nous. La grande ville d’Ukraine occidentale Lviv — en allemand Lemberg — n’est qu’à environ 900 km de Berlin. C’est aussi loin que de Flensburg à Fribourg.
Nous ressentons tous les conséquences de cette guerre, menée par la Russie avec une brutalité folle, y compris contre la population civile ukrainienne. Nous sommes également stupéfaits par la terreur exercée par le Hamas contre les citoyens d’Israël et par les souffrances infligées dans cette région. Et nous sommes abasourdis par la recrudescence de l’antisémitisme dans notre société et dans notre pays.
La commémoration et le recueillement, comme nous le faisons lors du Jour du Souvenir, sont-ils donc inutiles parce qu’ils n’ont aucun effet ? – Non, c’est le contraire qui est vrai.
Deux Guerres Mondiales ont, ensemble, coûté la vie à plus de 80 millions de personnes
Nous commémorons les victimes des deux Guerres Mondiales qui, ensemble, ont coûté la vie à plus de 80 millions de personnes. Plus de 80 millions – c’est autant que la population totale de l’actuelle République fédérale d’Allemagne. Et les morts n’étaient pas les seules victimes de la guerre et de l’extermination systématique.
S’y sont ajoutés des millions et des millions de personnes que la guerre a laissées blessées physiquement ou psychologiquement, qui ont perdu leurs proches, leur patrie et leurs perspectives de vie et qui se sont retrouvées devant les ruines de leur existence, au sens propre comme au sens figuré.
On ne peut pas tirer un trait sur le passé et faire en quelque sorte table rase
La division de l’Allemagne a également été le résultat de cette guerre – tout comme la domination soviétique, qui a privé les peuples d’Europe centrale et orientale de leur liberté pendant des décennies.
Nous commémorons aujourd’hui toutes ces victimes de la guerre et de la tyrannie. Nous pleurons avec leurs proches – et ce deuil n’a pas de date de péremption. On ne peut pas tirer un trait sur le passé et faire en quelque sorte table rase. Cela couperait les proches des victimes de l’histoire de leur famille.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale a pris fin, un avenir de paix et de prospérité semblait bien lointain. Mais l’inattendu a été réalisé. Les bases ont été posées par l’intégration européenne et la volonté de nos voisins de se réconcilier.
On ne peut pas exiger la réconciliation, on ne peut qu’accepter l’offre avec reconnaissance. Ce sont des évêques polonais qui, en 1965, ont invité leurs coreligionnaires allemands à venir en Pologne et ont écrit.
« Nous pardonnons et nous demandons pardon ». Ce sont des Français qui nous ont tendu la main, ce qui s’est ensuite traduit par le traité de l’Élysée, dont nous avons pu fêter le 60e anniversaire cette année.
La condition sine qua non d’une coopération nouvelle et fondée était toutefois que l’on reconnaisse sa propre histoire et sa propre culpabilité, et que l’on ne la rejette pas de manière lapidaire comme un petit accident des événements mondiaux.
Notre commémoration n’est pas seulement orientée vers le passé
Notre commémoration n’est pas seulement orientée vers le passé. Elle prend également son sens lorsque nous nous tournons vers l’avenir.
Celui qui est conscient de l’expérience et des horreurs de la guerre veut s’en protéger, en protéger ses enfants et ses petits-enfants. Et la réflexion fait partie de la commémoration. Comment en est-on arrivé à la guerre ?
Une guerre n’éclate pas, elle est faite par des hommes, préparée et menée par des hommes. Nous pouvons apprendre de l’exemple allemand comment une société a été préparée par le démantèlement systématique et la diffamation de la démocratie. Cela s’est produit bien avant que le premier char ne viole les frontières d’autres pays. Nous pouvons observer la même évolution en Russie.
La guerre et la dictature sont liées, à l’inverse, cela signifie que la paix a besoin de la démocratie.
Le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge entretient les sépultures de guerre dans 46 pays, dont le vôtre, votre Altesse Royale. Bien que la Suède n’ait pas été directement impliquée dans la Seconde Guerre mondiale, près de 470 morts allemands de la Seconde Guerre mondiale reposent dans trois cimetières suédois.
Il s’agit de soldats qui se sont écrasés en avion, qui ont été tués lors de leur transport à travers la Suède ou qui se sont échoués sur le rivage.
Quelques tombes de soldats allemands de la Première Guerre mondiale se trouvent également en Suède, dont celle de l’écrivain Gorch Fock. Nous les entretenons en collaboration avec vos autorités et nous vous remercions de nous permettre de le faire.
Aujourd’hui encore, notamment en Europe de l’Est, les dépouilles de soldats sont récupérées et réhabilitées. Nous pouvons ainsi offrir à leurs familles un lieu de deuil. Et nous créons ainsi des liens avec les États qui ont autrefois souffert de la guerre allemande.
Parallèlement, nous menons depuis 70 ans un travail de médiation et d’éducation à plusieurs niveaux dans les écoles et de nombreuses autres institutions, dans des discussions, dans un projet de voyage pour les jeunes et, enfin, dans quatre centres de formation propres. Des jeunes de nombreux pays s’y retrouvent.
Notre commémoration ne concerne donc pas seulement les personnes décédées, mais aussi, et surtout, les vivants. C’est particulièrement important en cette année où, non loin de chez nous, des gens doivent passer leurs nuits dans des bunkers. Le souvenir des morts des deux guerres mondiales est en même temps et toujours un appel à la paix, à la tolérance, à la démocratie, à la communauté et à la solidarité.
La Suède, un pays engagé pour la paix et la démocratie
Mais là où il est question de paix et de démocratie, on peut toujours compter sur la Suède, que ce soit aux Nations unies, auxquelles elle participe activement depuis 1946, ou au Conseil de l’Europe, qu’elle a cofondé en 1949. Son pays est engagé dans le Conseil nordique et le Conseil des États de la mer Baltique, dans l’OSCE et bien sûr dans l’Union européenne, dont la Suède assume la présidence au premier semestre 2023.
Nous sommes d’accord avec votre pays, Votre Majesté, dans son engagement pour la paix, la démocratie et l’équilibre. Votre Altesse, nous sommes d’accord. C’est pourquoi nous vous sommes particulièrement reconnaissants de votre présence aujourd’hui.
[1] Rede des Präsidenten des Volksbunds Deutsche Kriegsgräberfürsorge e.V., General Wolfgang Schneiderhan, bei der Zentralen Gedenkfeier zum Volkstrauertag am 19. November 2023 im Plenarsaal des. Deutschen Bundestages.
[2] Le général d’armée Wolfgang Schneiderhan, ancien inspecteur général de la Bundeswehr (2002-2009) est président du Volksbund depuis 2016.
