La semaine écoulée a été marquée par une intense activité diplomatique visant à redéfinir les contours de la relation franco-allemande. Au cœur de cette séquence se trouve l’entretien du 13 juin à Paris entre le Président Emmanuel Macron et le nouveau Chancelier allemand, Friedrich Merz. Cet événement, hautement symbolique, incarne une volonté politique partagée de « remettre à plat » et de relancer un partenariat qui avait montré des signes de friction sous la précédente coalition.[01]
L’analyse de l’actualité révèle cependant une dialectique complexe : d’un côté, une atmosphère de détente et de « nouveau départ » se dessine, notamment sur le dossier épineux de l’énergie;[03] de l’autre, des divergences structurelles et des rivalités industrielles profondes persistent, particulièrement dans le secteur stratégique de la défense.[04] Cette revue de presse se propose d’évaluer si ce « moment Merz » constitue un simple changement de style ou l’amorce d’un réalignement stratégique de fond, indispensable pour que le « moteur » franco-allemand puisse répondre aux défis majeurs auxquels l’Union européenne est confrontée.
Rédaction European-Security — Paris/Berlin, le 17 juin 2025 —
Sommaire
Diplomatie et politique : La quête d’une convergence retrouvée
La relance du dialogue politique et diplomatique entre Paris et Berlin a constitué l’axe majeur de l’actualité de la semaine. La nouvelle dynamique insufflée par l’arrivée de Friedrich Merz à la chancellerie a été mise en scène à travers plusieurs rencontres de haut niveau, visant à marquer une rupture avec la période précédente et à réaffirmer la centralité du couple franco-allemand dans la conduite des affaires européennes.

L’événement central fut l’entretien entre le Président Emmanuel Macron et le Chancelier Friedrich Merz à l’Élysée, le vendredi 13 juin. Selon les communiqués officiels, cette rencontre avait pour objectif de donner un « nouvel élan » au partenariat bilatéral. Les discussions se sont concentrées sur des thématiques cruciales pour l’avenir de l’Europe : l’agenda de souveraineté de l’Union, la compétitivité économique, le renforcement de la sécurité, le soutien indéfectible à l’Ukraine et la situation explosive au Proche-Orient. Cette rencontre a scellé une volonté de coordination étroite pour faire face aux défis communs.[02]
Cette dynamique bilatérale s’est immédiatement inscrite dans un cadre européen plus large. Le même jour, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, s’est entretenu par téléphone avec le Président Macron et le Chancelier Merz. Cet appel trilatéral a principalement porté sur la situation au Proche-Orient, les trois dirigeants réaffirmant le droit d’Israël à l’autodéfense tout en soulignant la primauté d’une résolution diplomatique sur une action militaire.[07] Cette coordination rapide sur un dossier international majeur témoigne de l’intention de Paris et Berlin d’agir de concert sur la scène mondiale.
Cette séquence diplomatique positive s’inscrit dans un contexte où la nécessité de « rebâtir » la relation était devenue palpable. Une analyse de fond publiée en amont de la rencontre soulignait l’importance de surmonter les « malentendus et désaccords accumulés » ces dernières années pour repartir sur de bonnes bases.[01] Les relations personnelles entre Emmanuel Macron et le prédécesseur de Merz, Olaf Scholz, étaient décrites comme n’étant « pas au mieux », ce qui avait engendré des « frustrations » côté français.[01] L’arrivée de Friedrich Merz, dont la « fibre francophile » est reconnue, a donc été perçue à Paris comme une opportunité pour un « nouveau départ ». Cependant, les analystes avertissent que cette bonne entente personnelle, bien que nécessaire, ne suffira pas à aplanir toutes les divergences, notamment sur des sujets aussi structurants que la politique budgétaire et la dette européenne.[01]
L’analyse des premiers pas du nouveau gouvernement allemand par des instituts de recherche comme l’IFRI met en lumière cette attente forte de Paris pour un réengagement allemand sur la scène européenne, au-delà des priorités de politique intérieure.[08] Le changement de coalition à Berlin, libéré des contraintes du gouvernement « tricolore » précédent, offre une plus grande marge de manœuvre pour s’aligner sur certaines positions françaises. L’objectif de cette relance est de recréer une « chimie » politique au plus haut niveau pour faciliter les compromis sur les dossiers de fond. La véritable épreuve de ce « nouvel élan » reste cependant à venir, lorsque les intérêts nationaux se confronteront à nouveau sur le terrain.
Défense et sécurité : Le paradoxe d’une coopération ambitieuse et d’une compétition féroce
Le domaine de la défense illustre de manière frappante la tension qui traverse la relation franco-allemande. La volonté politique de construire une Europe de la défense souveraine se heurte de plein fouet à la réalité des rivalités industrielles et des intérêts nationaux. La semaine a offert une illustration parfaite de ce paradoxe, avec des signaux contradictoires envoyés sur des projets de coopération majeurs.
D’un côté, les tensions sur le programme de Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) ont éclaté au grand jour. Le 12 juin, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a publiquement demandé une « discussion franche » avec Berlin et Madrid sur la gouvernance du projet, exigeant une clarification avant l’été. Paris insiste sur le maintien du pilotage du projet par l’industriel français Dassault Aviation, face aux ambitions croissantes d’Airbus Defence & Space, soutenu par l’Allemagne. Cette confrontation cristallise une guerre de leadership industriel qui paralyse l’avancement du plus emblématique des projets de défense européens.[04]

De l’autre côté, une annonce positive est venue contrebalancer ce tableau. Le 16 juin, il a été révélé qu’un premier réseau de défense aérienne commun entre l’Allemagne, les Pays-Bas et la France deviendrait opérationnel dès le 29 juin 2025. Cette initiative trilatérale, présentée comme pionnière, vise à intégrer les systèmes de surveillance et de réaction pour renforcer la sécurité des espaces aériens des trois pays. Ce projet est mis en avant comme un exemple concret et réussi de coopération militaire pragmatique en Europe.[09]
Ces développements s’inscrivent dans un contexte d’augmentation massive des dépenses militaires sur le continent. Une analyse de l’IRIS souligne que l’accélération des investissements de défense, en réponse à la guerre en Ukraine et à la perspective d’un désengagement américain, exacerbe à la fois les besoins de coopération et les réflexes de compétition industrielle.[10] Chaque euro investi devient un enjeu économique national, transformant les programmes de coopération en arènes de compétition.

De plus, les futurs systèmes d’armes comme le SCAF ou le char du futur (MGCS) doivent intégrer les leçons des conflits modernes, notamment la « dronisation » massive des opérations observée en Ukraine. Une note de l’IFRI du 5 juin qualifie ce phénomène de « véritable révolution militaire ».[11] Maîtriser ces technologies de drones, de connectivité et d’intelligence artificielle est un enjeu stratégique qui alimente les ambitions de chaque base industrielle nationale au sein des projets communs.
Cette situation révèle une forme de schizophrénie dans la coopération de défense franco-allemande. Alors que le projet MGCS a récemment trouvé un compromis sur un partage industriel à 50/50,[12] le SCAF reste un point de blocage majeur. La hausse des budgets de défense a transformé ces programmes en batailles pour le contrôle de marchés colossaux. L’Allemagne, qui ambitionne de faire main basse sur le marché européen de l’armement,[05] ne perçoit plus ces coopérations uniquement sous un angle politique, mais comme des vecteurs pour renforcer son propre complexe militaro-industriel. Ce paradoxe menace l’objectif même de souveraineté européenne : si les projets communs échouent, la porte sera grande ouverte à une dépendance accrue envers les équipements américains, comme le chasseur F-35.[04] La « discussion franche » réclamée par le ministre Lecornu est donc un véritable test de vérité pour le couple franco-allemand.
Économie et énergie : Une détente pragmatique sur fond de divergences structurelles
Sur le front économique et énergétique, la semaine a été caractérisée par un rapprochement notable, qualifié de « détente pragmatique ». Ce changement de ton, particulièrement visible sur la question du nucléaire, est largement dicté par les impératifs économiques auxquels l’Allemagne est confrontée, sans pour autant effacer les divergences de fond entre les deux modèles.
Le contexte économique allemand est un élément clé pour comprendre cette évolution. La publication imminente, le 12 juin, de la nouvelle étude économique de l’OCDE sur l’Allemagne est très attendue. Ce rapport doit analyser les performances récentes et les défis pour relancer une croissance atone, un enjeu majeur pour le nouveau gouvernement de Friedrich Merz et pour l’ensemble de la zone euro.[13] La compétitivité de l’industrie allemande, mise à mal par la crise énergétique et la perte du gaz russe bon marché, est devenue une priorité absolue.[14]

C’est dans ce contexte qu’il faut lire les signaux d’apaisement sur le dossier nucléaire. Un article récent évoque la « fin de la guerre de religion sur le nucléaire » entre Paris et Berlin.[03] L’arrivée du Chancelier Merz et la sortie des écologistes des ministères économiques clés ont permis d’adoucir le climat. Berlin se montre désormais plus ouvert au principe de neutralité technologique, qui met sur un pied d’égalité les énergies renouvelables et le nucléaire dans la course à la décarbonation. Ce changement de posture est majeur, car il pourrait débloquer les négociations sur la réforme du marché européen de l’électricité, un sujet vital pour les industries des deux pays.[16]
Toutefois, cette détente doit être analysée avec prudence. Une note de l’IFRI, bien que datant de janvier, reste d’une grande pertinence en soulignant que la France et l’Allemagne doivent rechercher la « complémentarité, plutôt que l’uniformisation des trajectoires ».[17] Le rapprochement actuel est une trêve pragmatique, pas une convergence stratégique. L’Allemagne ne va pas relancer son programme nucléaire ; sa stratégie reste fondée sur le développement massif des énergies renouvelables et l’importation d’hydrogène.[15] La France, de son côté, accélère le développement de son parc nucléaire. L’apaisement actuel vise donc à permettre la coexistence de ces deux modèles divergents au sein d’un marché européen fonctionnel, et non à les fusionner. C’est une trêve dictée par la nécessité économique, pas un traité de paix scellant une vision énergétique commune.
Coopération et accords bilatéraux : Le succès concret de l’apprentissage transfrontalier
Loin des tensions qui animent les grands projets stratégiques, la coopération franco-allemande démontre sa vitalité et son efficacité au niveau de la société civile. L’entrée en vigueur de l’accord sur l’apprentissage transfrontalier en est un exemple concret et réussi, illustrant comment la relation bilatérale produit des résultats tangibles pour les citoyens.
L’accord bilatéral sur l’apprentissage transfrontalier, signé en juillet 2023, est pleinement entré en vigueur le 1er mars 2025. Ce dispositif facilite considérablement la mobilité des apprentis entre la France et les Länder frontaliers allemands (Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat, Sarre). Il vise à pérenniser des pratiques déjà existantes, notamment dans la région Grand Est, en leur offrant un cadre juridique sécurisé et simplifié.[18]

La loi autorisant l’approbation de cet accord a été publiée en France le 17 février 2025, finalisant le processus législatif.[20] L’objectif est double : renforcer l’intégration des bassins de vie et d’emploi de part et d’autre de la frontière et contribuer à la création d’un véritable « espace européen de l’apprentissage ». Selon les estimations, jusqu’à un millier de jeunes pourraient bénéficier de ce dispositif chaque année, ce qui représente un levier important pour l’emploi des jeunes et la compétitivité des entreprises dans les régions frontalières.[19]
Ce succès démontre que, au-delà des désaccords au sommet sur des sujets comme la défense ou l’énergie, la coopération franco-allemande fonctionne et progresse. Cet accord est une application directe de l’esprit du Traité d’Aix-la-Chapelle, qui appelait à renforcer les liens entre les sociétés civiles. Il rappelle que la relation bilatérale ne se résume pas à ses tensions, mais qu’elle est aussi un laboratoire d’intégration européenne qui produit des avancées concrètes et bénéfiques au quotidien.
Synthèse et perspectives : Les chantiers du « Nouveau Départ »
La semaine du 10 au 16 juin 2025 restera comme celle d’une relance politique volontariste du couple franco-allemand. La rencontre Macron-Merz du 13 juin a clairement fixé un cap de convergence et de coopération renforcée, symbolisant un « nouveau départ ». Toutefois, l’analyse de l’actualité révèle des paradoxes persistants qui constitueront les principaux chantiers des mois à venir.
Le premier est un paradoxe diplomatique : une volonté de « reset » et une chimie personnelle affichée [21] devront se confronter à des intérêts nationaux divergents sur des sujets aussi structurants pour l’UE que le budget ou la dette commune. Le deuxième est le paradoxe de la défense : des avancées politiques concrètes, comme le réseau de défense aérienne,[09] coexistent avec une guerre industrielle larvée qui menace les projets les plus emblématiques, à l’image du SCAF.[04] Enfin, le paradoxe énergétique montre une « détente » pragmatique sur le nucléaire [03] qui masque la persistance de deux modèles énergétiques nationaux fondamentalement différents.[17]
Le tableau de bord suivant offre une vision synthétique de l’état d’avancement des grands projets stratégiques bilatéraux.
Projet Stratégique | Statut Actuel (Juin 2025) | Dernier Jalon Clé | Prochaine Étape Attendue | Sources Clés |
MGCS (Char du futur) | En bonne voie | Accord sur la répartition industrielle 50/50 (Avril 2025) | Soumission du contrat aux parlements (fin 2025) | 12 |
SCAF (Avion du futur) | En crise | Demande française de « discussion franche » sur la gouvernance (Juin 2025) | Négociations sur le pilotage industriel (avant l’été 2025) | 4 |
Réseau de défense aérienne | Lancement imminent | Annonce officielle de l’initiative trilatérale (Juin 2025) | Opérationnalisation du réseau (fin Juin 2025) | 9 |
Apprentissage transfrontalier | Opérationnel | Entrée en vigueur de l’accord bilatéral (Mars 2025) | Montée en charge du dispositif pour les apprentis | 18 |
Marché EU de l’électricité | Négociations débloquées | « Détente » sur la question du nucléaire (Mai 2025) | Compromis au niveau des ministres de l’Énergie de l’UE | 3 |
En conclusion, le succès du « nouveau départ » franco-allemand se mesurera à sa capacité à surmonter ces paradoxes. La question centrale pour les mois à venir sera de déterminer si la convergence politique affichée au plus haut niveau par Emmanuel Macron et Friedrich Merz parviendra à imposer des compromis équilibrés aux puissants intérêts industriels et aux dogmes administratifs nationaux.
L’avenir de la souveraineté européenne en dépend directement.
Sources
- [01] Entre la France et l’Allemagne, une relation à (re)bâtir | Ifri
- [02] Entretien avec Friedrich Merz, Chancelier de la République fédérale d’Allemagne | Élysée
- [03] France-Allemagne : fin de la « guerre de religion sur le nucléaire
- [04] Sébastien Lecornu veut une « discussion franche » avec Berlin et Madrid sur la gouvernance du programme SCAF | Zone Militaire
- [05] L’Allemagne se prépare à faire main basse sur le marché européen de l’armement en 2030
- [06] L’agenda du Président | Élysée
- [07] PM call with President Macron of France and Chancellor Merz
- [08] Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) | Ifri
- [09] Selon l’Agence Européenne de Défense, un premier réseau
- [10] Vers une hausse massive des dépenses militaires européennes …
- [11] Des jumeaux mal en point : le SCAF et le Char du futur
- [12] Des jumeaux mal en point : le SCAF et le Char du futur | Ifri
- [13] L’Allemagne et la France s’accordent sur le « char du futur – Missions allemandes en France
- [14] L’Étude économique de l’OCDE sur l’Allemagne sera lancée le jeudi
- [15] Crise énergétique : quels enjeux pour l’Allemagne ? :: Défense & Industries
- [16] La crise énergétique fragilise la relation entre la France et l’Allemagne | Ifri
- [17] Conflit franco-allemand sur la Stratégie Énergétique en Europe | Energynews
- [18] France-Allemagne : un sursaut dans l’énergie est indispensable | Ifri
- [19] Apprentissage transfrontalier – entrée en vigueur de l’accord franco-allemand le 1er mars 2025 – La France en Allemagne
- [20] Apprentissage transfrontalier entre la France et l’Allemagne : la loi est parue
- [21] Emmanuel Macron et Friedrich Merz annoncent un « conseil de défense franco-allemand » | France 24 – YouTube,
- [22] Troubles Twins: The FCAS and MGCS Weapon Systems and Franco-German Co-operation | Ifri
Voir également : « Deutsch-französischer Presseschau vom 10. bis 16.06.2025 » — (2025-0617)