Le Verbe pour la forme, la vision pour le fond

Anatomie d’une parole d’État : analyse du discours magistral de l’Ambassadeur de France à Berlin; S.Exc. M. François Delattre, lors de la célébration du 14 juillet dans les salons et le jardin de l’ambassade de France à Berlin.[1] Un mélange de gravité, d’histoire, d’action et d’espoir. François Delattre est connu pour parler avec son cœur. Entre le devoir de mémoire et le réflexe de l’avenir, la France et l’Allemagne ont décidé de lancer un chantier commun : partager, un « Neustart franco-allemand pour l’Europe », une éidence qui s’impose à nous, vu la gravité de la situation internantionale et les menaces qui pèsent à court et moyen terme sur notre sécurité collective. C’est ce que l’on appelle un discours fondateur dans lequel l’ambassadeur de France en Allemagne vient de nous livrer sa feuille de route. Une leçon de haute diplomatie.

par Joël-François Dumont — Berlin, le 15 juillet 2025 —

Le discours prononcé par l’Ambassadeur de France en Allemagne, Monsieur François Delattre, ce 14 juillet 2025 à Berlin, est bien plus qu’une allocution de circonstance. Il s’agit d’une véritable feuille de route diplomatique, d’une démonstration de haute voltige politique et d’un vibrant plaidoyer pour l’amitié franco-allemande, le tout livré avec une clarté et une gravité adaptées aux enjeux du moment.

Ambassadeur François Delattre
S.Exc. M. François Delattre, ambassadeur de France en Allemagne — Archives Joël-François Dumont

Qualifié à juste titre de « grand germaniste », M. Delattre offre ici une masterclass, alliant la forme et le fond pour dessiner une perspective exigeante mais porteuse d’espoir pour l’avenir de l’Europe.

1. Une forme au service du message : l’art de la diplomatie inclusive

Dès ses premiers mots, l’Ambassadeur Delattre déploie une maîtrise de la forme qui conditionne la bonne réception de son message.

  • Un plurilinguisme maîtrisé : En s’exprimant avec aisance en français, en allemand et en anglais, M. Delattre ne fait pas que respecter le protocole. Il incarne l’Europe cosmopolite et tend la main à chaque composante de son auditoire, créant un sentiment d’inclusion immédiat.
  • L’humour et la chaleur humaine : La pique sur « la longue tradition de la modestie et de l’humilité françaises » est une touche d’esprit brillante. Elle détend l’atmosphère en créant une complicité avec l’auditoire allemand et en humanisant la fonction d’ambassadeur.
  • La reconnaissance de tous les acteurs : Des ministres aux élus des Français de l’étranger, en passant par le monde associatif et les partenaires de l’événement, chaque salutation est pensée. C’est la reconnaissance que l’amitié franco-allemande n’est pas qu’une affaire de chancelleries, mais l’œuvre d’un écosystème complet.
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S.Exc. François Delattre le 14 juillet Potzdamer Platz — Photo © Ambassade de France en Allemagne

2. Un diagnostic lucide et sans concession face à une « menace vitale »

Le cœur du discours est un exposé d’une lucidité rare sur la situation géopolitique. L’Ambassadeur ne se contente pas de célébrer les valeurs républicaines comme des reliques du passé ; il les érige en « meilleur compas » pour naviguer dans la tempête. Son diagnostic des « défis existentiels » est précis et sans fard :

  • La menace stratégique russe.
  • La nouvelle désorganisation mondiale basée sur la rivalité des puissances.
  • Le risque de décrochage économique et technologique de l’Europe.
  • La menace sur nos démocraties, de l’intérieur comme de l’extérieur.

En nommant ces périls, et en rappelant les avertissements de figures comme Letta et Draghi, il ancre son propos dans une réalité crue, partagée par tous les décideurs présents. Il justifie ainsi l’urgence absolue de sa thèse centrale : « la réponse (…) ne peut être qu’européenne ».

3. Le « Neustart » franco-allemand : une ambition politique concrète

Face à ce constat alarmant, M. Delattre ne propose pas de vagues incantations, mais un projet politique clair : le « Neustart » franco-allemand, initié par le Président Macron et le Chancelier Merz. Ce n’est pas un simple slogan, mais une méthode (« développer le réflexe franco-allemand à tous les niveaux ») et un programme d’action détaillé :

  • Défense : Convergence des stratégies, hausse massive des budgets, et surtout, le projet visionnaire d’une « DARPA européenne » pour l’innovation de défense. C’est une réponse directe et ambitieuse à la nouvelle donne sécuritaire.
  • Compétitivité et Technologie : Le discours s’attaque aux nerfs de la guerre moderne : l’union des marchés de capitaux, la simplification administrative, et surtout, le renforcement de la coopération dans les technologies de rupture (IA, quantique, spatial). La mention du dialogue entre le Fraunhofer et l’INRIA rend cette ambition tangible.
  • Énergie : L’appel à « une véritable union européenne de l’énergie » est une reconnaissance que la souveraineté du XXIe siècle sera aussi énergétique.

4. Le coup de maître : l’ancrage dans l’Histoire et la Mémoire

Là où le discours atteint une profondeur remarquable, c’est dans son tissage entre les enjeux actuels et le devoir de mémoire. Le 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale n’est pas un simple rappel calendaire. C’est le fondement moral de tout l’édifice.

François Delattre aux côtés de Lili Keller-Rosenberg, déportée française à Ravensbrück — Photo © JFD
François Delattre aux côtés de Lili Keller-Rosenberg, déportée française à Ravensbrück — Photo © JFD
  • L’hommage à Claude Lanzmann et à la Shoah est un moment d’une gravité et d’une force exceptionnelles. Il rappelle ce sur quoi l’Europe s’est reconstruite : le refus de la barbarie.
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Proche parente de Claude Lanzman — Photo © Ambassade de France en Allemagne
François Delattre et Hervé Morin le 14 juillet çà Berlin © Ambassade de France en Allemagne
MM. François Delattre et Hervé Morin le 14 juillet à Berlin — Photo © Ambassade de France en Allemagne
  • Le choix de la Normandie comme région partenaire est un coup de génie symbolique. Il crée un fil narratif parfait, allant du Débarquement de 1944 – première étape de la libération – à l’escadrille de transport aérien franco-allemande d’Évreux défilant le matin même à Paris. L’Histoire, la mémoire et la coopération militaire concrète d’aujourd’hui sont ainsi magistralement liées.

Conclusion

Le discours de l’Ambassadeur François Delattre est une œuvre politique et intellectuelle de premier plan.

Il réussit le tour de force d’être à la fois un discours de célébration convivial, un avertissement solennel face aux menaces existentielles, et une feuille de route détaillée pour l’action.

En liant de manière inextricable le destin de la France à celui de l’Allemagne au sein d’une Europe souveraine, et en ancrant cet impératif dans les leçons les plus sombres du XXe siècle, il ne se contente pas de décrire le monde. Il cherche à le façonner. C’est la marque d’un grand diplomate qui, face au risque d’un « dérapage dramatique », choisit la lucidité, l’ambition et la force tranquille du couple franco-allemand comme rempart et comme moteur. Un discours exemplaire qui fera date.

[1] Voir « De la Mémoire à la Souveraineté : un pacte franco-allemand pour notre destin commun » : Discours de S.Exc. M. François Delattre devant un millier d’invités — (2025-0714) —