Discours d’Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères lors de la session spéciale du Bundestag sur la guerre en Russie – Berlin, le 27 février 2022 – Source : Auswärtiges Amt.
Les images en provenance d’Ukraine sont à peine supportables. Des milliers de personnes fuient. Chacun dans cette salle a probablement reçu un message d’amis, de connaissances, de collègues avec lesquels – comme moi la semaine dernière – on a encore déjeuné ensemble à Kiev et qui disent maintenant : s’il vous plaît, sauvez-nous ! – Des parents avec de jeunes enfants passent leurs nuits dans des bouches de métro pour se protéger des bombes et des missiles. Cela pourrait être nous dans ces puits de métro, cela pourrait être nos enfants.
Ce qui se passe actuellement en plein cœur de l’Europe était jusqu’à présent inimaginable pour quelqu’un de ma génération. C’est le moment où la guerre d’agression est revenue en Europe. Notre monde est désormais différent après cette guerre d’agression menée par Poutine en violation du droit international.
Ambassadeur Melnyk, je vous souhaite la bienvenue dans cette salle au nom de plus de 40 millions d’Ukrainiens courageux !
Je voudrais vous dire ici, du fond du cœur, que la souffrance indicible des hommes, des femmes et des enfants nous touche au plus profond de nous-mêmes. Nous sommes abasourdis par ce qui est à nouveau infligé à l’Ukraine et à ses habitants. Mais nous ne sommes pas impuissants.
Nous ne vous laissons pas seuls face à cette agression impitoyable contre votre pays.
Cette guerre n’est pas une guerre du peuple russe. Cette guerre est celle de Poutine.
Cette guerre est une attaque contre notre paix en Europe. Cette guerre est une attaque contre notre liberté. Cette guerre est une attaque contre le droit international public.
Cette guerre est une attaque contre toutes les valeurs d’un ordre international fondé sur des règles. Cette guerre est une attaque contre la coexistence pacifique entre les hommes. Et c’est une guerre qui exige que nous reformions les fondements de notre action en politique étrangère.
Il y a quelques semaines encore, je disais dans cette même salle, à propos des livraisons d’armes, qu’il fallait prendre la décision d’un virage à 180 degrés en matière de politique étrangère au bon moment et en toute connaissance de cause.
C’est maintenant – aussi triste que cela puisse être – le moment de le faire.
Nous avons essayé de faire preuve de diplomatie jusqu’à la dernière minute. Le Kremlin nous a fait patienter, nous a menti et a refusé tout ce que nous avions défendu jusqu’ici en tant qu’Européens. Poutine voulait cette guerre – “whatever it takes”.
La Russie a attaqué l’Ukraine sans ménagement. Et l’Ukraine, comme tous les pays du monde, a le droit à l’autodéfense, garanti par la Charte des Nations unies.
Et nous, qui nous trouvons sur le terrain du droit international, avons également le devoir de défendre ensemble cette Charte des Nations unies.
Il se peut qu’aujourd’hui, l’Allemagne laisse derrière elle une forme de réserve particulière et isolée en matière de politique étrangère et de sécurité. Les règles que nous nous sommes données à cet effet ne doivent pas nous déresponsabiliser. Si notre monde est différent, notre politique doit l’être aussi.
Un pays doté d’une armée parlementaire et d’un contrôle démocratique étendu peut et doit se permettre – et c’est ce que nous faisons aujourd’hui – de prendre des décisions en toute responsabilité sur les questions de guerre et de paix.
Nous continuerons à faire preuve de la plus grande retenue en matière d’exportations d’armes et d’interventions. Mais en cette heure historique, face à l’attaque brutale contre l’Ukraine, nous opterons pour un soutien qui, en plus de notre grand engagement économique et humanitaire, soutiendra désormais l’Ukraine en lui fournissant du matériel militaire et des armes.
Car nous ne pouvons pas laisser l’Ukraine sans défense face à l’agresseur qui sème la mort et la désolation dans ce pays.
Et je vous remercie tous vivement, tout comme le chancelier fédéral. C’est la force de cette Assemblée, c’est la force de notre démocratie libérale : que nous puissions nous disputer âprement sur des questions de fond, mais qu’au moment où il s’agit de défendre nos valeurs fondamentales, nous soyons tous unis, tous groupes confondus. Merci beaucoup !
Nous le faisons parce qu’il s’agit de vies humaines. Nous le faisons parce que notre ordre international est en jeu. Nous le faisons avec prudence et par responsabilité pour notre paix en Europe.
C’est aussi un message clair à Vladimir Poutine : le prix de cette guerre contre des innocents et la violation de la Charte des Nations unies seront inacceptables pour le système Poutine.
Nous devons – et le chancelier l’a souligné – faire beaucoup de choses en même temps maintenant. Nous devons veiller à ce que les personnes en Ukraine soient rapidement approvisionnées en produits de première nécessité, en matériel médical, en abris sûrs.
Pour ce faire, nous avons notamment augmenté de 5 millions d’euros notre contribution au fonds d’aide humanitaire des Nations unies pour l’Ukraine. Nous mettons à disposition une aide supplémentaire de 10 millions d’euros à court terme pour le Comité international de la Croix-Rouge.
Nous mettrons tout en œuvre pour que les personnes qui fuient actuellement soient toutes en sécurité. Nous avons pris des dispositions à cet effet. C’est également notre force, non seulement au sein de l’Union européenne, mais aussi avec nos amis au Canada, en Amérique et dans de nombreux autres endroits dans le monde : nous n’abandonnons pas les Ukrainiens qui fuient leur pays.
Et oui, à ce stade aussi, nous devons parler d’argent. Je vous demande de soutenir le financement de cette aide humanitaire dans le budget à venir, de la manière dont nous en avons besoin pour protéger les personnes.
Trois autres éléments sont décisifs :
Premièrement, les sanctions. La réalité est amère : aucune sanction ne peut arrêter cette folie en ce moment. Si nous avions un moyen de sanction pour tout arrêter, nous l’aurions bien sûr pris depuis longtemps. Mais ce que nos sanctions font – et c’est essentiel – c’est de montrer à Poutine : A moyen et long terme, cette guerre va ruiner votre pays. – Le jeu perfide de Poutine est conçu pour durer ; c’est pourquoi nos sanctions doivent l’être aussi, et c’est pourquoi nous devons nous assurer de ne pas nous essouffler au bout de trois mois, mais ces sanctions doivent toucher le système Poutine au cœur.
C’est pourquoi elles vont de pair : sur le plan économique, financier et individuel. C’est pourquoi nous listons M. Poutine lui-même et le ministre des Affaires étrangères Lavrov. Ils portent la responsabilité de cette guerre.
C’est pourquoi nous allons mettre en place de nouvelles sanctions visant les banques, les oligarques et les membres de la famille. C’est pourquoi nous avons conçu les sanctions SWIFT – et je peux comprendre que certains soient devenus un peu nerveux à ce sujet ; mais je demande la confiance en ces temps – de manière à ce qu’elles touchent le système Poutine et ne nous reviennent pas comme un boomerang, et ce conjointement avec la responsabilité internationale dont nous devons maintenant faire preuve ensemble.
Deuxièmement . Nous soutenons nos alliés au nom de l’OTAN ; le chancelier allemand l’a déjà dit clairement. L’OTAN est le garant de notre sécurité et de notre liberté. C’est pour cela qu’elle a été créée, et cela n’a pas changé.«
Et mon dernier point : oui, nous devons faire preuve de fermeté ; mais nous défendons ici le droit international et les règles internationales. C’est pourquoi le dialogue est toujours nécessaire en ce moment, non pas avec l’agresseur, mais avec la communauté internationale. Cela doit être notre priorité absolue.
Il ne s’agit pas seulement de l’Europe. Aucun pays au monde ne peut accepter que sa souveraineté soit mise en jeu si son voisin le plus fort le veut.
Poutine aurait alors gagné.
C’est pourquoi nous devons maintenant nous opposer à cette agression, avec tous les États qui, comme nous, croient en la Charte des Nations unies.
C’est pourquoi j’en appelle à tous nos partenaires du monde entier, ici, dans cette Assemblée historique : la semaine prochaine, affichez vos couleurs à l’Assemblée générale des Nations unies ! Il s’agit de notre ordre international de paix. Nous devons maintenant le défendre ensemble.
Personne ne peut rester neutre face au choix entre la guerre et la paix, face au choix entre un agresseur d’un côté et des enfants qui se cachent dans les bouches de métro de l’autre.
Merci de le dire clairement ici aujourd’hui.
Traduction European-Security.com
Texte original en allemand : Dieser Krieg ist Putins Krieg – Rede von Außenministerin Annalena Baerbock bei der Sondersitzung des Bundestags zum Russlandkrieg